Price – Steve Tesich
Rentrée littéraire 2014
« Le problème avec l’amour, reprit-il autant pour lui que pour moi, c’est que c’est à la fois un poison et un antidote – et qu’on ne sait jamais vraiment lequel des deux on avale. »
En 2012, les éditions Monsieur Toussaint Louverture (qui ont le don de dénicher des pépites) nous avaient régalés avec Karoo de Steve Tesich, portrait alcoolisé et baroque, bourré d’autodérision et d’humour, d’un scénariste de cinéma spécialisé dans la destruction des chefs d’œuvre. Cette année, elles récidivent avec le premier roman du même Tesich, qui met en scène cette fois un adolescent.
Daniel Price a dix-huit ans et termine le lycée. Ce qui signifie que dans quelques mois il lui faudra trouver un boulot, un vrai boulot, pas un de ces petits jobs d’été dont il a l’habitude. Car il n’y aura pas d’études supérieures pour Danny : il a grillé sa seule chance d’obtenir une bourse en perdant la finale du tournoi de lutte. Et les perspectives d’avenir ne sont pas des plus réjouissantes en cette année 1961 dans cette petite ville d’East-Chicago dans l’Indiana, que dominent les sinistres réservoirs de la Standard Oil Company. Il est probable que Danny finira là-bas, comme son père. Or le père de Danny est un homme profondément malheureux qui ne s’entend plus avec sa femme, n’aime pas son boulot, ni même sa vie, et traîne sa triste existence d’un matin à un autre. Pas de quoi faire rêver son fils. Alors, pour ne pas penser à un futur qui l’angoisse, Danny traîne dans les rues avec ses deux meilleurs copains, Larry le révolté et Scott le résigné. La vie de Danny bascule le jour où il rencontre Rachel, qui vient de s’installer en ville avec son père. Rachel est belle, sauvage et énigmatique, Danny tombe amoureux avec la fougue de ses dix-huit ans, au moment même où il apprend que son père est très malade.
« Il semble prêt à se jeter du haut d’une falaise juste pour tomber amoureux. »
Avec ce roman très inspiré de sa propre adolescence, Tesich nous offre un superbe roman d’apprentissage, sombre mais pas désespéré, où un jeune ado naïf se débat dans les affres de l’amour et l’angoisse de la mort. Pendant la durée d’un été tour à tour brûlant et glacial, à l’image de sa relation avec Rachel, Danny Price emprunte le chemin difficile de la perte de l’innocence et de la perte tout court. Le jeune homme apprend la douleur et le manque dans un crescendo de tension dramatique qui culmine dans une scène que n’aurait pas renié Tennessee Williams.
Ce premier roman de Tesich a une tonalité bien différente de Karoo. L’auteur y décrit la difficulté d’être jeune dans un monde où les jeunes n’ont aucun espoir en l’avenir, rien que la promesse d’une vie banale et médiocre. Ils ont tous l’impression qu’avec la fin de leurs études, le meilleur de leur vie est passé. Les adultes, dans cette histoire, sont tous des vaincus. Et alors même que Danny tente désespérément de se détacher de l’image de son père, il prend douloureusement conscience qu’il lui ressemble beaucoup.
« Nous étions les martyrs d’un amour que nous avions placé entre les mains de femmes cruelles. »
Mais à la différence de son père, Danny va s’inventer un avenir et peut-être un destin.
J’ai eu un coup de cœur absolu pour ce roman et son jeune héros en colère, et même si ce billet ne leur rend pas totalement hommage, je vous conseille vivement de les découvrir à votre tour.
Chez le même éditeur :
- Le dernier stade de la soif de Frederick Exley
- Le linguiste était presque parfait de David Carkeet,
- Une putain de catastrophe de David Carkeet.
Traduit de l’américain par Jeanine Hérisson.
Editions Monsieur Toussaint Louverture, 2014 (1e éd. 1982), 544 p.