Crampton Hodnet - Barbara Pym

Publié le par Papillon

"Il n'y a pas de malades à Oxford-Nord. On y est soit mort, soit vivant. Parfois il est difficile de faire la différence, c'est tout, expliqua Miss Morrow."

 

 

J'avais besoin d'un petit break dans mes lectures sérieuses du moment. Et quelle meilleure détente que la relecture de cette très chère et si délicieusement british Barbara Pym ? Qu'il faudra d'ailleurs que je me décide à lire en anglais un de ces jours ; ce doit être tellement meilleur en version originale.

 

Crampton Hodnet nous transporte dans les années trente à Oxford dans une petite société tout à fait pymiesque composée de professeurs d'université, de vieilles filles et de pasteurs. Miss Morrow y est dame de compagnie de Miss Doggett, une vieille dame autoritaire, aussi sotte que prétentieuse. Le quotidien des deux demoiselles va être quelque peu chamboulé par deux évènements : un nouveau vicaire très séduisant vient prendre pension chez elles, et le respectable Pr Cleveland va avoir le béguin pour sa plus brillante étudiante.

 

Comme toujours, Barbara Pym décrit une petite société où tout le monde se connait, et donc se surveille et s'observe. Tout acte sortant un tant soit peu de l'ordinaire est jugé à l'aulne de la jalousie, de la perfidie et de la médisance. C'est un tout petit monde où il ne fait pas bon affirmer sa singularité. La délation y revêt facilement l'habit du devoir moral et le traditionnel five o'clock tea y devient la caisse de résonance des commérages en forme de règlement de comptes. Car tous ceux qui ne font rien de leur vie sont toujours prompts à juger celle des autres.

 

Le tout est évidemment férocement drôle, et j'ai particulièrement adoré Miss Morrow. Elle est impayable : drôle et spirituelle, sous son apparence trompeuse de terne dame de compagnie. C'est la plus compréhensive et la plus perspicace à la fois, qui ne dit jamais un mot mais n'en pense pas moins, témoin indulgent et désabusé de ses contemporains. Et quelle charmante candeur (qu'elle revendique d'ailleurs) :

 

"- Mais ça a l'air si absurde. Je vais passer pour une créature veule et incapable, protesta Mr Latimer.

 - Et alors ? Après tout, les hommes sont effectivement des créatures veules et incapables, répondit calmement Miss Morrow."

 

Chez Barbara Pym, les hommes n'ont pas le beau rôle, ils sont souvent lâches, menteurs et infidèles. Mais les femmes n'y sont guère mieux traitées: une femme est "fanée" à trente-cinq ans pour peu qu'elle soit célibataire, et cocufiée à cinquante si elle ne prend pas soin de son mari. L'amour est un mirage et le mariage une duperie. Partout règnent le mensonge et la bêtise. Et pourtant il faut bien s'accommoder de cette vie-là. La vie toute entière n'est-elle pas une duperie ?

 

Barbara Pym se fait l'analyste de cette micro société, régie par un certain nombre de codes sociaux qu'elle se plaît à détourner très subtilement : les pasteurs commettent le péché de mensonge, les femmes de professeurs poussent candidement leurs maris à aller traîner à la Bodléienne pour y rencontrer quelque jeune femme à qui offrir le thé, les paroissiennes de tout âge n'hésitent pas à se jeter au cou d'un vicaire pour peu qu'il soit bel homme. Le pauvre Mr Latimer sera-t-il contraint au mariage pour échapper à ses admiratrices et aux cancans ? Francis Cleveland résistera-t-il au charme des yeux noirs de Miss Bird ?

 

"Apprendre à aimer, c'est à mon avis l'une des tâches les plus ardues qu'on puisse imaginer. Comment s'y prend-on ? Devrions-nous nous y mettre ensemble, comme pour apprendre le russe, durant les longues soirées d'hiver ?"

 

Il y a chez Barbara Pym quelque chose de Jane Austen, en plus lucide et plus acide. Elle n'hésite pas à nous dévoiler la dimension tragique de la vie humaine, comme une scène inconvenante surprise par l'entrebâillement d'une porte : c'est Mr Latimer contemplant la maigre assemblée de fidèles dans son église glaciale, et frémissant à l'idée des trente ans à venir. Mais ça ne dure jamais bien longtemps. Un petit verre de sherry et la vie redevient une aimable farce.

 

Et Crampton Hodnet devient ce lieu fantasmé où chacun rêve un jour ou l'autre de s'enfuir mais où personne ne fuit jamais. Car, finalement, dans le monde de Barbara Pym, après quelques soubresauts drolatiques qui semblent mettre en péril l'équilibre de la communauté, tout rentre gentiment dans l'ordre, et chacun reprend la place qui lui est échue.

 

D'autres billets : Dominique - Aifelle

 

Traduit de l'anglais par Bernard Turle.

10/18, 1994 (1e ed. 1985). - 278 p.

 

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S
Tu sais que vraiment je me dis qu'elle me ferait du bien cette Barbara, vous êtes quand même nombreuses à saluer sa causticité et son humour. Et je me demande si un peu de légèreté teintée de moquerie ne me ferait pas de mal.
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P
C'est très british et délicieux !
D
Merci à toi pour le lien, c'est vraiment le roman que j'ai préféré de Barbara Pym et je suis d'accord avec le rapprochement avec Jane Austen par delà les siècles
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P
C'est ton billet qui m'a donné envie de relire ce titre et je ne suis pas loin d'être d'accord avec toi : c'est un de ses meilleurs.
L
et dire que je n'ai pas encore Barbara Pym mais pourquoi? Pourquoi?<br /> cet article est parfait pour qu e je m'y mette....
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P
Oh oui, il faut absolument lire Barbara Pym, c'est drôle et mordant : un délice.
H
Plus ça va plus je me dis qu'il faut que je découvre cette auteure.
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P
Je te le conseille vivement, en effet, et ce titre-ci est particulièrement bon.
Y
Il me semble que j'ai lu quelquechose de cette auteure mais sans atteindre ce degré d'enthousiasme, je dgevrais reessayer :-)
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P
Oui, il faut absolment lire Barbara Pym !
K
Je prévois aussi lecture/relecture de la dame, j'en ai une demi douzaine en VO sur mes étagères...<br /> L'extrait au début de ton billet me conforte : Pym, c'est incontournable!
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P
Celui-ci est particulièrement savoureux, un des plus drôles, je crois.
A
Barbara Pym et ses délicieuses vacheries .. c'est toujours bon d'y revenir, on n'est jamais déçue. Bonne fin d'année Papillon.
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P
Je la relis toujours avec un très très grand plaisir. Bonne fin d'année aussi, Aifelle.
T
C'est toujours une grand plaisir de lire la délicieuse et ironique Barbara Pym. Je te rajouts totalement quand tu parles de sa lucidité, il y aussi souvent de la mélancolie chez elle. Je vais très bientôt en lire un, j'hésite entre celui-ci et "Un brin de verdure" que Keisha avait beaucoup aimé.
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P
En tout cas, tu sais que Crampton Hodnet est dans ma bibliothèque, s'il te tente. Ce n'est hélas plus si facile de trouver les romans de Barbara Pym en français.
T
Finalement, j'ai choisi "Un brin de verdure", enfin choisi est un bien grand mot, "Crampton Hodnet" n'était pas à la bibliothèque à côté de chez moi ! Mais je compte lire tout Barbara Pym, ce n'est donc que partie remise !
P
Celui-ci est un de ses premiers, donc pas encore trop mélancolique (mais déjà très lucide !) et je te le conseille vivement, c'est un de ses meilleurs.