Tristesse de la terre – Eric Vuillard
« Ce qu’il trouve le plus beau, le plus saisissant, ce sont les choses qu’on ne peut regarder très longtemps, qui ne se répètent pas, qui n’arrivent qu’une fois, là, pour vous, une seule fois, et ne durent qu’un instant. »
Une histoire de Buffalo Bill Cody, tel est le sous-titre de ce court récit, le mot important étant l’article indéfini, puisque l’un des propos de ce texte est de montrer que l’histoire n’est jamais univoque.
Qui était vraiment William Cody ? L’un de ces aventuriers comme seule la conquête de l’Ouest américain sut en produire : messager du Pony Express, éclaireur pour l’armée, employé du chemin de fer, grand tueur de bisons, ce qui lui vaut son surnom de Buffalo Bill. Un soir, dans un saloon, il raconte ses aventures à un journaliste qui en fait un roman populaire. Buffalo Bill devient une légende et le personnage de sa propre vie. Profitant de cette popularité il crée le Wild West Show, énorme spectacle où il met en scène une version épique de la conquête de l’Ouest, à destination de ceux qui ne l’ont pas vécue. On y voit des cow-boys, des indiens, des batailles et des attaques de diligences. On y réécrit allègrement l’histoire aussi, avec la complicité des vaincus qui acceptent de jouer leur propre rôle en le dénaturant.
« Le spectacle nous dérobe et nous ment et nous grise et nous offre le monde sous toutes ses formes. Et, parfois, la scène semble exister davantage que le monde, elle est plus présente que nos vies, plus émouvante et vraisemblable que la réalité, plus effrayante que nos cauchemars. »
Le récit est construit en courts chapitres qui s'articulent autour de photographies historiques en noir et blanc, dessinant un kaléidoscope, un portrait cubiste de ce qui fut une réalité historique (le génocide des indiens), scénarisé par un bateleur mythomane, un héros de pacotille. Du storytelling avant l'heure, l'Histoire passée à la moulinette de la narration, bien avant l'invention d'Hollywood.
« Le reality show n’est donc pas, comme on le prétend, l’ultime avatar, cruel et possessif, du divertissement de masse. Il en est l’origine ; il propulse les derniers acteurs du drame dans une amnésie sans retour »
Quoique joliment écrit, et parfois très émouvant (notamment quand on découvre comment Buffalo Bill a permis, en le transposant sur scène, au massacre de Wounded Knee de devenir la bataille de Wounded Knee), tout ceci m’a quand même paru trop bref, trop superficiel, trop éparpillé, sans réelle consistance, comme ces flocons de neige dont il est question au dernier chapitre.
L’avis plus enthousiaste de Vio
Actes Sud, coll. Un endroit où aller, 2014. – 160 p.