Stoner - John Williams
« Et ce que tu contemples renforcera ton amour,
Afin d’aimer mieux encore ce que bientôt tu vas perdre. »
William Shakespeare.
William Stoner a grandi dans une pauvre ferme du Missouri. Depuis sa tendre enfance, toute sa vie n’est que labeur pour aider ses parents à tirer une maigre subsistance d’une terre ingrate. Enfant sérieux, calme et obéissant, Stoner s’y plie de bonne grâce, tout comme il se consacre avec application à ses devoirs scolaires. A l’âge de dix-neuf ans, ses parents décident de l’envoyer à l’université pour y suivre des études d’agronomie. C’est un gros sacrifice pour ces gens humbles. Stoner devra travailler dur pendant toutes ses études pour payer sa pension chez des cousins fermiers.
En deuxième année, il découvre l’amour de la littérature grâce à Shakespeare et à un vieux prof ronchon. Il décide d’abandonner l’étude de l’agronomie au profit de sa nouvelle passion. A la fin de ses études, il devient tout naturellement prof dans cette université qui l’a formé. Homme solitaire et timide, il tombe amoureux de la première jolie fille qui croise sa route. Sans vraiment la connaître, il lui demande sa main. Bien que d’un milieu social très différent, elle accepte. Mais Stoner va comprendre très vite à quel point cette union est une erreur. Son épouse, froide et inflexible, est totalement imperméable à toute forme de tendresse. Elle va se révéler fragile et névrosée, alternant les phases d’abattement total et d’excitation fébrile. Elle va subtilement voler à Stoner tout ce à quoi il tient : son travail de chercheur, sa fille, son ambition.
La première pensée qui vient quand on referme ce livre est : « Quel gâchis ! » Quel gâchis, en effet, que la vie de cet homme droit, fin et intègre, qui va accumuler toutes les malchances du monde sans jamais émettre la moindre plainte, sans jamais se résigner, sans jamais cessé de consacrer son énergie à ce qu’il aime le plus : ses étudiants.
La vie de Stoner est traversée par plusieurs illuminations : la découverte des livres, la découverte de la paternité, la découverte du plaisir d’enseigner, la découverte de l’amour. Mais, à chaque fois, son élan est brisé, soit par sa femme, soit par ses collègues. Stoner doit à la fois faire face chez lui à une guerre intime de tous les instants, et affronter à l’université les combines de ses collègues pour favoriser certains étudiants. Autant il se résigne à la première, autant il refuse d’accepter les secondes. On découvre alors toute la subtilité, l’intelligence et la profondeur de cet homme discret, mais toujours fidèle à lui-même, qui mourra un livre à la main.
Un roman peu original, certes, mais cependant très émouvant, même si j’ai trouvé une peu excessive cette accumulation de malheurs, et je n’oublierai pas de sitôt la figure de ce professeur de littérature, qui avait placé la culture et l’intelligence au-dessus de tout.
« Une guerre ne tue pas seulement quelques milliers ou quelques centaines de milliers de jeunes hommes, elle détruit aussi, chez un peuple, quelque chose qui ne pourra jamais être remplacé… Et si ce même peuple traverse plusieurs guerres successives, très vite, la seule chose qui demeure, c’est la brute. Cette créature que nous, c'est-à-dire vous, moi et quelques autres, avons tirée de son bourbier… »
Traduit de l’américain par Anna Gavalda.
Le Dilettante, 2011 (1e édition 1965). – 382 p.