Le météorologue – Olivier Rolin
Rentrée littéraire 2014
Je ne sais pas comment il se fait que je n’avais encore jamais lu Olivier Rolin, alors que j'aime tant les écrivains voyageurs, mais cette lacune est désormais comblée, grâce à ce récit, qui mêle biographie et enquête journalistique au pays des Soviets.
« Son domaine c’était les nuages. Sur toute l’étendue immense de l’URSS, les avions avaient besoin de ses prévisions pour atterrir, les navires pour se frayer un chemin à travers les glaces, les tracteurs pour labourer les terres noires. Dans la conquête de l’espace commençante, ses instruments sondaient la stratosphère, il rêvait de domestiquer l’énergie des vents et du soleil, il croyait « construire le socialisme », jusqu’au jour de 1934 où il fut arrêté comme « saboteur ».
Né en Ukraine en 1881, Alexeï Féodossiévitch Vangenheim fut initié très jeune par son père, petit noble de province, à l’observation des phénomènes naturels. Après des études scientifiques, il enseigne brièvement avant d’intégrer le service hydro-météorologique. Au moment de la révolution russe, il se range du côté des bolcheviks, contrairement à son frère qui choisit l’exil à l’ouest. Fervent communiste et brillant scientifique, Vangenheim grimpe tous les échelons de la carrière d’un apparatchik soviétique jusqu’à diriger le service hydro-météorologique de l’URSS. Dans son domaine, il est un précurseur, pour ne pas dire un visionnaire, amoureux des vents et de nuages, et rêve d’électrifier tout l’union soviétique grâce aux éoliennes, de créer un service de météorologie mondial et unifié, d’étudier l’influence du climat sur l’être humain. Par ses travaux, il collabore aussi bien à la conquête de l’espace qu’à l’exploration de l’Arctique. Tout se brise le 8 janvier 1934, quand il est arrêté, enfermé dans la sinistre prison de la Loubianka, accusé de sabotage et condamné à dix ans de bagne et de « rééducation par le travail » On l’expédie aux îles Solovki, juste sous le cercle polaire, dans un ancien monastère devenu l’un des premiers camps d’internement du régime communiste, une prison de glace et de solitude.
A travers le destin d’Alexeï Féodossiévitch Vangenheim, Olivier Rolin nous fait toucher du doigt ce que fut la grande répression stalinienne qui envoya au bagne et à la mort des millions de citoyens soviétiques innocents. Vangenheim est persuadé que son innocence finira par être reconnue, il ne perd à aucun moment sa foi dans le parti communiste et l’état soviétique. Il inonde de lettres ses anciens collègues et amis et jusqu’au camarade Staline, qui ne répondra bien sûr jamais. Pour ne pas sombrer dans le désespoir, il travaille à la bibliothèque du camp, apprend les langues étrangères, donne des conférences sur le climat à ses co-détenus. Mais, surtout, il écrit deux fois par mois à sa femme et sa fille, restées à Moscou. Et on s’étonne que ces lettres qui dévoilent tout de ses états d’âme et de son quotidien n’aient pas été censurées. C’est cette correspondance qui a permis à Olivier Rolin de retracer la vie de cet homme brillant et intègre qui fut brisé par le régime qu’il avait soutenu. Et ce météorologue qui n’est ni poète ni rêveur illustre toutes ses lettres de tout un imagier poétique et coloré destiné à l’éducation de sa petite fille.
« On se prend à se demander ce qui se serait passé si la folie de Staline, décapitant toutes les élites du pays, scientifiques, techniques, intellectuelles, artistiques, militaires, décimant la paysannerie et jusqu’à ce prolétariat au nom de quoi tout se faisait, dont l’URSS était supposée être la patrie, n’avait substitué, comme ressort de la vie soviétique, la terreur à l’enthousiasme. L’introuvable « socialisme » que les « héros » s’imaginaient construire, et ceux aussi, comme Alexeï FéodossiévitchVangenheim, qui n’étaient pas des héros, seulement d’honnêtes citoyens soviétiques, aimant leur travail, pensant servir le peuple en le faisant avec compétence, peut-être aurait-il existé ? »
Un texte à la fois passionnant et émouvant, superbement écrit et très bien documenté, qui fait froid dans le dos, tant la machine à détruire stalinienne fut absolument impitoyable pour des hommes comme ce météorologue qui n’avait d’autre ambition que de mettre son talent et son énergie au service de son pays, pour la plus grande gloire du socialisme.
C’est Dominique qui m’a donné envie.
Editions du Seuil / Paulsen, coll. Fictions & Cie, 2014. –224 p.