La petite communiste qui ne souriait jamais - Lola Lafon
J'appartiens à cette gėnėration qui a assisté en direct au triomphe de Nadia Comaneci aux Jeux Olympiques de 1976 (année du bac, année de la sécheresse, tout le monde devant sa télé à regarder les JO). Cette petite gymnaste roumaine de quatorze ans fit exploser les compteurs et subjugua le monde entier. C'est sur la carrière de cette sportive d'exception que revient Lola Lafon dans un livre qui me laisse un peu perplexe...
D'abord, on ne sait pas trop dans quel genre on se situe : roman, biographie, enquête ? Ensuite, le récit aborde deux angles pour raconter une vie qui fut passionnante pour deux raisons bien différentes : Nadia Comaneci gagna une médaille d'or à quatorze ans, et elle vivait dans un pays communiste, derrière ce que l'on appelait alors le "rideau de fer". Le premier angle du récit aborde tout ce qui a trait à la gymnastique et donc au corps, alors que le deuxième se concentre davantage sur la façon dont Comaneci fut instrumentalisée par le régime communiste. A la fin de chaque chapitre, une conversation (imaginaire) entre l'auteure et son héroïne tente de présenter au lecteur deux versants d'une histoire.
Le récit démarre avec ces fameux JO de 1976, mais très vite l'auteure nous envoie quelques années plus tôt quand la jeune Nadia de sept ans rencontre celui qui va devenir son entraîneur, Bela Karolyi, personnalité charismatique et ambigüe, qui sera à la fois un coach, un manager, un gourou, et surtout le promoteur d'une méthode, la sienne, pour fabriquer des athlètes à médailles. Et cette méthode m'a paru confiner à la torture : privation de nourriture, entraînements épuisants, acrobaties dangereuses, blessures.
"Si ça ne saigne pas, affirme Béla aux fillettes, ne t'en fais pas, ce n'est probablement rien de très sérieux."
"Je ne vais pas tourner le dos à ce qui me fait peur. Je fais face, parce que la seule façon d'échapper à ma peur est de la piétiner."
Alors, oui, c'est une méthode qui a porté ses fruits, mais à quel prix ?
Et ce qui m'a encore plus mise à l'aise, c'est la façon dont est abordée la seconde partie de la carrière de Comaneci. Le monde entier avait été fasciné par une petite fée impubère, une fascination qui apparait comme sacrément malsaine sous l'oeil de l'auteure. Mais la fée grandit, devient une jeune fille et tout le monde prend un air dégouté... Sous la plume de Lola Lafon, la puberté devient la "Maladie". Il faut lutter contre les kilos, contre les formes, contre la nature.
"Elle nous faisait craquer cette gracieuse et souple enfant des rues, mais là, nous voilà face à une femme d'un certain âge, vingt-huit ans, au sacré tour de poitrine ; tout en elle aujourd'hui rappelle le malheureux destin biologique féminin, ce moment où les femmes commencent à préférer porter des chaussures confortables et où elles s'habillent en L."
Inutile de dire que ce passage m'a scandalisée (et que le bouquin a bien failli passer par la fenêtre), d'autant que j'ai eu du mal à savoir où était le point de vue l'auteure.
La seconde partie du livre analyse les rapports de Comaneci avec le régime communiste : était-elle complice ou prisonnière ? On ne le saura pas. Ce qui est plus intéressant, c'est la comparaison communisme/capitalisme que soulève l'auteur. L'auteure montre bien comment les occidentaux ont adopté les méthodes d'entraînement des pays communistes. Elle montre aussi que tout n'était pas noir dans les pays communistes, de même que tout n'est pas blanc dans les pays capitalistes, un thème qui est nettement plus approfondi dans La fin de l'homme rouge de Svetlana Alexievitch.
Si je n'ai pas été totalement insensible au style de Lola Lafon, je n'ai pas vraiment compris où elle voulait en venir avec ce récit, qui soulève des questions qui m'ont semblé extrêmement génantes.
Un roman qui a emballé quasiment tout le monde, sauf Galéa.
Actes Sud, 2014. - 318 p.