Le gang de la clef à molette - Edward Abbey
Ils sont quatre et ont deux points communs : un amour immodéré pour les paysages arides du Sud-Ouest américain et une haine sans limite pour tous ceux qui voudraient les abîmer.
« Face au vent, dans le paysage rouge et crénelé où coule le Colorado, cœur du cœur de l’Ouest américain. Le vent y souffle sans cesse, rien n’y pousse, à part le genévrier rabougri au sommet des falaises, le rare chardon et le cactus nain. Après les pluies d’hiver, lorsqu’elles tombent, et de nouveau après celles d’été, si on ne les attend pas en vain, il y a une très brève éclosion de fleurs. La moyenne des précipitations annuelles est de cinq pouces. C’est le genre d’espace qui fait fuir, épouvanté, le fermier, l’éleveur, le défricheur. Il n’y a pas d’eau, pas de terre, pas d’herbe. Il n’y a pas d’arbres, sauf quelques rares peupliers au fond des canyons. Rien d’autre qu’un squelette de roches, une peau de sable et de poussière ; le silence, l’espace, et les montagnes, au-delà. »
Il y a un chirurgien quinquagénaire, anarchiste et pyromane, sa jeune et jolie petite amie, juive new-yorkaise vaguement baba-cool, un mormon polygame guide de rivière et un vétéran du Vietnam, amateur de bière et d’armes à feu, un peu psychopathe. Le hasard les réunit lors d’une descente du Colorado.
« La belle lumière du soleil couchant striait le ciel, embrasant les nuages et les montagnes. Presque partout le paysage était dépourvu de routes, inhabité, désert. Ils avaient envie qu’il restât ainsi. Ils feraient tout pour ça. Pour le garder tel quel. »
Mais l’industrialisation est en marche. Jour après jour des autoroutes sont ouvertes, des mines creusées, des centrales électriques installées, des barrages construits. Pour retarder le processus, les quatre amis décident de se lancer dans l’éco terrorisme. Au début leurs sabotages sont artisanaux et poétiques : sable et sirop d’érable dans des réservoirs de bulldozers, engins de chantiers balancés à la flotte. Puis on passe à la vitesse supérieure : explosifs et dynamite, destruction de ponts, de routes et de voies ferrées. Toutes les forces de l’ordre sont à la recherche des quatre pieds nickelés de l’Ouest et une longue traque démarre…
Voilà le roman le plus jouissif que j’ai lu depuis longtemps. Edward Abbey est drôle, méchant, cynique, tendre et humaniste. On ne peut s’empêcher d’aimer ces quatre hors-la loi, fous de grands espaces, déjantés et décalés. L’auteur les plonge dans des aventures burlesques, inventives, où tous les coups (ou presque) sont permis. Il nous fait frémir, blêmir, rougir, soupirer, transpirer, et hurler de rire. Il nous entraîne sur le plateau du Colorado, aux confins de l’Utah et de l’Arizona, dans ce désert de pierres sculpté par les canyons, qui dessine l’un des plus beaux paysages du monde. Il dénonce avant tout le monde (ce roman date de 1975) l’exploitation à outrance des richesses du désert, et la pollution qui en découle, pour apporter un confort futile aux Américains : climatisation à Los Angeles, piscines à Las Vegas, centres commerciaux éclairés a giorno à Tucson et ailleurs. Nous savons bien que le pathétique combat de ces quatre révoltés est dérisoire, ils n’en sont que plus attachants, dans leur course folle contre le reste du monde.
Un roman jubilatoire que je conseille à tout le monde : écolos ou pas, amoureux ou non des grands espaces, parce que c’est aussi un excellent thriller.
D'autres avis : So - Keisha
Traduit de l’américain par Pierre Guillaumin.
Préface de Robert Redford.
Gallmeister, 2005. – 486 p.