Pourquoi j'ai mangé mon père - Roy Lewis
Ernest nous raconte sa vie : le boulot, la famille, les amours,… Et ça pourrait être presque banal, sauf qu’Ernest est un pithécanthrope qui vit au pléistocène, c’est-à-dire celui de nos ancêtres qui décida un jour de descendre de son arbre pour conquérir la vaste plaine, devenant alors un bipède (d’où son nom d’homo erectus), renonçant à la cueillette pour la chasse. Grâce à cette histoire, on découvre donc un moment clé de l’évolution humaine et on comprend mieux comment les premiers humains ont du créer leurs premières armes en taillant des pierres, devenir carnivores et apprendre à faire cuire leurs aliments.
Mais si cette histoire se lit d’une traite c’est parce qu’elle est narrée sur le mode burlesque. Le chef de famille, Edouard, est un génie révolutionnaire et inventif qui ne pense qu’au progrès et au bien-être de la communauté. Le jour où il "capture" le feu, il fait faire à son peuple un bond de l'animalité à l'humanité. S’oppose à lui son frère Vania qui est persuadé que le progrès ne peut être que source de malheur et dont le cri de guerre est « Back to the trees ! ». Et tous les enfants d’Edouard vont apporter leur pierre à l’édifice de l’évolution : Oswald le chasseur et Tobbie l’inventeur, Alexandre l’artiste et Ernest l’intellectuel, et même William dont le rêve est d’apprivoiser un chien sauvage.
Cette histoire est une fable à lire au second degré. Le comique est en grande partie lié au décalage entre la vie rude et primitive de cette famille des cavernes et leurs dialogues qui pourraient être ceux d’anthropologues de notre siècle, confortablement installés dans leur fauteuil. Ils ont un langage châtié, une vision très claire de ce qu’ils sont et philosophent sur la condition humaine.
Et ce roman est aussi une allégorie de l’histoire de l’être humain : une découverte en entraîne une autre, bien nourri l’humain devient fort, puissant il se veut conquérant, persuadé de sa supériorité sur les plus faibles, traitant de « métèque » ceux qui sont différents et rêvant de les réduire en esclavage. A la vision humaniste d’Edouard s’oppose la vision totalitaire de ses fils…
« Je suis un homme de science, dit père d’une voix calme. Je considère que les résultats de la recherche individuelle sont la propriété de la subhumanité dans son ensemble, et qu’ils doivent être mis à la disposition de tous […] De cette façon le travail de chacun profite à tous et c’est pour toute l’espèce que s’amassent nos connaissances. »
Ce roman est considéré comme un classique et c’est tout à fait justifié : il est drôle, intelligent et donne à réfléchir sur le rôle du progrès et la place de l’homme dans le monde. A ne pas manquer.
Elles l'ont lu : Kalistina - Majanissa - Livrovore - Cuné et BlueGrey.
Traduit de l'anglais par Vercors et Rita Barisse.
Babel, 1999. - 172 p.