Cora dans la spirale - Vincent Message

Publié le par Papillon

"Elle craint que ne s'opère en elle ce qu'elle nomme un affadissement général de la vie. Ses sensations perdent de leur puissance, de leur lumière et de leur éclat."

Il y a trois ans, Vincent Message me subjuguait totalement avec Défaite des maîtres et possesseurs, et j'avais hâte de retrouver sa plume, avec cette fois un roman bien ancré dans la réalité de notre XXIe siècle. 
 
"C'est vrai que c'est une toute petite histoire parmi toutes les histoires du monde. Mais seulement jusqu'à temps qu'on se dise qu'il n'y a pas de petite histoire."
 
Après un congé maternité et la naissance d'une petite Manon, Cora retourne au bureau, plutôt contente de retrouver son poste au service marketing d'une grande compagnie d'assurances. Sauf que pendant son absence beaucoup de choses ont changé. La société a été racheté par un fonds d'investissement, le patron historique a démissionné pour raison de santé, et une équipe de consultants débarque pour rationaliser les coûts, alors que les bénéfices stagnent. Bientôt le siège déménage à La Défense, le quartier d'affaires parisien. Voilà comment Cora se retrouve au 27e étage de la tour Galaxie, dans un open space dont la porte est toujours ouverte et la fenêtre toujours fermée, et avec un nouveau chef : l'ambitieux Franck remplace le bienveillant Édouard. Ce déménagement implique aussi davantage de transports dans un RER A bondé, ou sur un périphérique embouteillé. Mais Cora en bon petit soldat va jouer le jeu et se fondre dans la nouvelle organisation, même si peu à peu son boulot perd tout son sens et ne lui apporte plus aucune joie. Elle décide pourtant d'encaisser, sans rien dévoiler à autrui.
 
"Lorsqu'elle entend, ces temps-ci, clamer pour calmer le jeu qu'on va moraliser le capitalisme, ça la fait doucement rire. C'est dans la nature du système d'être amoral."
 
Cora dans la spirale est un tableau de la vie moderne et une critique du monde du travail à l'heure du néo-libéralisme. Le roman se déroule entre 2010 et 2012, au moment où la crise des subprimes déstabilise l'économie européenne, et où la crise migratoire fait apparaître des camps de toiles dans la capitale. Et, comme toujours en temps de crise, ce sont les salariés qui paient l'addition. Vincent Message décrit très justement la pression qui s'installe insidieusement sur les employés, et se fait de plus en plus pesante, empêchant de penser à autre chose, de réfléchir posément et menant à l'épuisement progressif. Pourtant Cora n'est pas une faible femme : c'est une femme de son temps qui se bat pour tout concilier, son ambition professionnelle, sa vie de famille, sa vie amoureuse, tout en gardant un regard ouvert sur le monde, le regard de la photographe qu'elle fut autrefois.
 
"Est-ce qu'elle pouvait, dans ces circonstances-là, voir monter le danger ? Est-ce qu'elle était censée se rappeler que les bonheurs modestes ne sont pas forcément plus pérennes que les ambitions démesurées ?"
 
Dès le début on sait qu'il va arriver quelque chose à Cora, quelque chose de suffisamment grave pour impliquer un procès, et donner lieu à cette enquête à laquelle se livre le journaliste Mathias, qui nous la raconte. Mathias lit les carnets de Cora, et interroge ses collègues et amis bien après les faits, pour essayer de remonter aux sources du drame et à ses causes, en donnant à voir plusieurs plusieurs points de vue. La construction est brillante et subtile, et l'auteur maintient le lecteur dans une tension constante, tout en prenant son temps pour nous révéler le passé de Cora, celui de son couple, celui de sa boîte et même de son patron. Et quand le drame surviendra, horrible et brutal, il vous cueillera d'un grand coup de poing dans le plexus, et vous laissera sonné et hébété.
 
"Courage, nom masculin : capacité à prendre des décisions qui servent vos intérêts, seront appliquées par d'autres et détruiront la vie de gens que vous ne croisez jamais."
 
Autopsie d'un monde du travail déshumanisé, Cora dans la spirale est aussi le portrait juste et beau d'une femme d'aujourd'hui.
 
Seuil, 2019. - 458 p.

 

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M
J'ai lu ce livre à sa sortie et je me suis trouvée quelque peu déstabilisée par toutes les digressions que fait l'auteur. Puis, j'ai trouvé toute cette narration intéressante (de l'analyse économique du secteur des assurances au parcours professionnel du PDG), une fois que l'on est plongée dans ce roman.
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P
Les digressions ne m'ont pas trop gênée, parce qu'elles donnent de l'épaisseur aux personnages et de la densité à l'histoire.
C
J'avais repéré son précédent, je l'ai d'ailleurs dans ma PAL mais toujours pas lu. Merci pour la piqûre de rappel!
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P
Oh oui, il faut le lire : inattendu, surprenant, excellent !
D
Evidemment, ce roman m'intéresse au plus haut point - surtout après l'éloge de Nicole et le tien. <br /> En même temps, me plonger dans cet univers en allant au boulot le matin et en sortant... je n'ai pas le courage.
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P
Oui, je vois ce que tu veux dire... En le lisant je me disais que j'avais bien fait de tout plaquer pour m'installer au bord de la mer :-) <br />
L
pas trop de courage en ce moment pour lire ce livre.
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K
Il fait aussi partie de mes envies de rentrée, ce sera pour un peu plus tard, toutefois... ;-)
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N
Pour moi c'est l'un des très très bons de la rentrée, tu le sais...
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P
Et je te rejoins tout à fait.
I
Comme toi, j'ai été impressionnée par "Défaite des maîtres et possesseurs", et je compte bien lire ce titre, au sujet en effet très actuel. Ceci dit, j'attendrai sa sortie poche..
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P
C'est presque aussi fort que Défaite dew maîtres et possesseurs.
A
Je l'avais mis tout en haut de ma liste d'envies de la rentrée et puis, je me suis laissée déborder. Je vais le prendre dès que possible à la bibli.
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P
Je pense que tu devrais aimer, c'est une lecture prenante.