Au nord par une montagne, au sud par un lac, à l'ouest par des chemins, à l'est par un cours d'eau - László Krasznahorkai
"La simplicité qui définissait son essence révélait en même temps un condensé extrême de beauté"
Ne te laisse pas impressionner, ami lecteur, par ce titre à rallonge ni par le nom à coucher dehors de l'auteur : ce roman est un petit bijou ! Certes, il faut accepter de se laisser porter par de très longues phrases sans forcément chercher à comprendre où l'auteur veut nous emmener, un peu à l'image du personnage principal :
"... et c'est de là qu'il démarra, par des ruelles étroites et labyrinthiques, tournant ici à gauche, avançant tout droit, tournant à nouveau à gauche, le doute aurait du le gagner, et tel fut le cas, mais il ne s'arrêta pas pour demander son chemin, n'interrogea personne, au contraire, il poursuivit sa route sans se poser de question, sans hésiter, sans réfléchir sur la direction à prendre lorsqu'il arrivait à l'angle d'une rue, car son intuition lui disait qu'il trouverait ce qu'il cherchait, ..."
Nous sommes au Japon, à une époque indéterminée, dans "la magique cité de Kyoto". Cet homme, dont on nous dit qu'il est le petit-fils du Genji, est descendu du train, et grimpe la colline pour entrer dans un grand temple bouddhiste. Il est en quête de quelque chose, mais quoi ? [Je déconseille de lire la quatrième de couverture qui, bien que brève, est déjà trop bavarde]. Avec cet homme, c'est à une promenade envoutante que l'auteur nous convie, une promenade dans un jardin textuel touffu, riche d'effluves délicates, et une promenade en 3D, où les lieux se dévoilent dans leur présent comme dans leur passé, et où il sera question de mathématiques et d'architecture, de géologie et de botanique, et même d'édition. J'ai ainsi appris qu'il existe une reliure baptisée "papillon". Le texte s'enroule sur de très longues phrases, certes, et l'histoire nous est contée un peu dans le désordre, et pourtant on ne perd jamais le fil, tant la plume est délicate, précise et évocatrice, tellement évocatrice d'ailleurs que j'en ai rêvé la nuit de ces ruelles embaumées et de ce monastère oublié, un monastère qui se présente comme une malicieuse mise en abyme du projet littéraire de l'auteur :
"... l'itinéraire de la visite reposait sur une invitation au recueillement spirituel, et était donc guidé par un caprice, un caprice vaporeux, immatériel, ludique et léger, un caprice doté d'une capacité d'improvisation hors du commun, mais qui ne commettait aucune erreur, un caprice dont le produit, ce splendide monastère, offrait l'aspect, si on le jugeait rapidement et superficiellement, d'un conglomérat confus d'éléments disparates assemblés pêle-mêle, ..."
Quel bonheur de lecture et quelle atmosphère ! Si le terme hypnotique a jamais eu un sens à propos de littérature, c'est à ce roman qu'il s'applique. Au final, on ne sait plus si l'on est dans une fable, un conte, ou un rêve. Le petit-fils du Genji était peut-être un fantôme errant dans des lieux depuis longtemps abandonnés à leur seule beauté. Peu importe, on se souviendra qu'il faut du temps, des siècles parfois, pour créer de la beauté et de l'harmonie, et nous sommes souvent si pressés, nous autres pauvres humains, si autocentrés, que nous passons à côté de l'essentiel sans le voir, alors que la beauté est notre seul remède contre la violence du monde.
Mention spéciale à la couverture que je trouve superbe.
Lu dans le cadre du challenge Lire le monde (Hongrie) de Sandrine.
Traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly.
Actes Sud, coll. Babel, 2017. - 192 p.