Les luminaires - Eleanor Catton
"S'il y a bien une chose que l'expérience m'a apprise, c'est à ne jamais sous-estimer la difficulté extrême qu'il y a à comprendre une situation du point de vue d'autrui."
Alors que je sortais de plusieurs romans assez sombres, je cherchais une histoire qui ne parle ni de crise sociale, ni de guerre, ni de deuil, et j'ai eu bien du mal à trouver, jusqu'à ce que je mette la main sur ce gros pavé, qui m'a en plus donné l'opportunité de retourner dans un pays que j'ai beaucoup aimé : la Nouvelle-Zélande.
Hokitika, 1866 : c'est la ruée vers l'or sur la côte ouest de la Nouvelle-Zélande, qui voit débarquer toutes sortes d'aventuriers venus d'Australie, de Chine ou d'Europe, en quête de fortune et d'une nouvelle vie. C'est le cas de Walter Moody qui arrive d'Écosse, fuyant une sombre affaire de famille. Il s'installe dans le premier hôtel venu et va boire un verre au bar, sans se douter qu'il vient d'interrompre un mystérieux conciliabule. Douze hommes se sont en effet réunis ce soir-là pour tenter d'élucider le mystère qui empoisonne l'atmosphère de la petite ville : un de ses plus riches entrepreneurs a brusquement disparu, un vieil ivrogne a été retrouvé mort et une prostituée a tenté de se suicider. Et surtout : un trésor en lingots d'or a été découvert, objet de tous les fantasmes et de toutes les convoitises. Tous ces hommes sont plus ou moins impliqués dans cette histoire, qui a l'air aussi embrouillée qu'une pelote de fils, sans qu'aucun n'en soit le personnage principal. Aucun n'est coupable, aucun n'est innocent, chacun détient une petite part de la vérité. Et c'est Moody, l'étranger fraichement débarqué, qui va être sollicité pour mettre un peu de clarté dans cet imbroglio.
"Quel crime insatisfaisant. .. sans cadavre ni coupable !"
J'ai tout de suite adoré l'atmosphère dickensienne de cette histoire : une ville exotique noyée de pluie, un étranger qui surgit au cœur de la nuit, une réunion secrète, une énigme à débrouiller. Le roman emprunte non seulement l'atmosphère mais aussi le style des grands romans du XIXe siècle, et distille tous les ingrédients du bon roman d'aventures : des escrocs et des chercheurs d'or, un naufrage et du spiritisme, des secrets de famille et une fumerie d'opium. Un doigt de fantastique, un zeste de passion et une tonne de cupidité. Car ce sont bien les deux mille livres d'or qui sont au cœur du mystère, un or dont on découvre qu'il est passé entre toutes les mains, sans faire beaucoup d'heureux, comme s'il était porteur d'une sombre malédiction ; un or qui fut tour à tour trouvé, fondu, volé, dissimulé, perdu et retrouvé, caché puis découvert, et finalement offert... Le roman se présente comme une boule à facettes, la vérité nous échappant sans cesse, prenant sa source dans de très vieilles histoires d'amour et de trahison, d'abandon et de vengeance, d'exil et de perte.
"J'essaie, dit-il enfin, de me décider entre toute la vérité et rien que la vérité. Mon histoire étant ce qu'elle est, je ne pourrai malheureusement pas concilier les deux."
La construction du roman est à la fois très subtile et très originale, empruntant tous les codes de l'astrologie, se déroulant sur un année jour pour jour, durée d'une révolution terreste, en douze parties comme autant de mois dans l'année. Les personnages principaux sont assimilés aux principales planètes et les personnages secondaires aux douze maisons astrologiques, chaque chapitre étant gouverné par sa carte du ciel et déroulant des événements en fonction de la situation des personnages-luminaires et des relations qu'ils entretiennent entre eux. Très brillant. Pour ceux qui cherchent un pavé pour l'été : ne cherchez plus.
Ce roman a obtenu le Man Booker Prize en 2013.
Traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande) par Erika Abrams.
Folio, 2017. - 1237 p.