Légende - Sylvain Prudhomme
Rentrée littéraire 2016
"Quand on veut vraiment quelque chose, on finit toujours par l'obtenir. Tu verras c'est vrai."
La nostalgie était l'essence du précédent roman de Sylvain Prudhomme, pour lequel j'avais eu un gros coup de cœur il y a deux ans, et c'est encore la nostalgie qui traverse son dernier opus, pourtant fort différent, moins lointain et moins exotique. C'est dans la Crau qu'il nous emmène cette fois-ci, plaine désertique et caillouteuse aux portes d'Arles et aux pieds des Alpilles, pays de moutons, de bergers et de bergeries. Nel y a grandi, fils et petit-fils de bergers, devenu photographe et fasciné par ce champs de cailloux. Et c'est sur un amour partagé pour cette terre fascinante d'aridité et de sauvagerie que c'est construit son amitié avec Matt, un anglais récemment installé, entrepreneur et cinéaste amateur. Matt a un projet de film autour d'une célèbre boite de nuit de la région, la Churascaia dite la Chou, lieu mythique de la jeunesse et de la fête depuis cinquante ans. Alors qu'il commence une enquête auprès de ceux qui ont fréquenté l'endroit dans leur jeunesse surgissent du passé les figures quasi légendaires de deux frères, Fabien et Christian Guyraud, qui se trouvent être les cousins de Nell, disparus depuis plusieurs années. Et peu à peu l'intérêt du cinéaste va se déplacer, par le biais notamment des souvenirs de Nell, d'un lieu à une famille assez originale.
"De raconter comment deux êtres s'étaient consumés. D'en faire des sortes de martyrs, de témoins - des héros de leur temps, à leur façon, incarnant une vérité des années qu'ils avaient traversées."
Même si je fus moins envoutée par ce roman que par le précédent, il se confirme que j'aime vraiment beaucoup la voix et l'univers de Sylvain Prudhomme, une voix qui ne raconte pas une histoire, mais peint un paysage par touches brèves et pudiques. En croisant le présent et le passé, Sylvain Prudhomme parvient à évoquer une région et son histoire. Se croisent la modernité et la tradition, la France et l'étranger, la ville et la campagne, autour de ces années de transition que furent les années 80. D'un côté la rude vie des bergers et le rite de l'estive, de l'autre la jeunesse flamboyante d'Arles et ses folles nuits. Pour Matt, ces deux frères sont emblématiques d'une époque, fils de l'insouciance des années 70, élevés dans la plus grande liberté par des parents désinvoltes (partis chasser les papillons à Madagascar), ils ont payé l'addition dans les années 80, les années paillettes qui furent aussi celles de la drogue et du sida. L'un était un dandy esthète et impertinent, héros lumineux d'une bande de copains, l'autre rebelle taiseux, violent et solitaire. Tous deux eurent une fin prématurée.
Et si l'évocation des années 80 en elle-même ne m'a pas vraiment touchée, j'ai aimé comment l'auteur parvient à faire surgir ses personnages du passé, par le biais de récits, de photos, en multipliant les voix ; j'ai aimé comment il réconcilie Nel avec son propre passé, comment il nous montre comment nous nous construisons toujours sur le passé, même quand nous croyons le renier.
"Une pensée l'avait traversé que la pluie était là précisément pour ça : empêcher qu'il photographie. Les désarmer Matt et lui. Les obliger à cesser de capturer, d'immortaliser, de figer. Les forcer à simplement vivre, s'abandonner, être tout entier aux choses."
Gallimard, coll. L'Arbalète, 2016. - 292 p.