Trois jours avec Norman Jail - Éric Fottorino

Publié le par Papillon

"L'écriture est un chemin aussi imprévisible que le vol d'un papillon."

 

 

Quand on aime les livres, on aime les écrivains, et quand on aime les écrivains on est curieux de savoir ce qui se passe dans la tête de ces êtres étranges capables de créer des mondes dans lesquels nous aimons nous perdre, nous autres lecteurs.

 

C'est le cas de Clara, étudiante en lettres qui prépare un mémoire et souhaite rencontrer Norman Jail, un vieil écrivain qui n'a publié qu'un seul roman à vingt ans, et vit reclus quelque part au bord de la mer. Il accepte pourtant de la recevoir et de répondre à ses questions sur les mystères de la création littéraire.

 

"Je devinai qu'à ses yeux la fiction était la meilleure façon d'élucider le réel, de soulever les pans de l'existence qui se refusaient à l'explication."

 

On découvre avec Clara que non seulement Norman Jail n'a jamais cessé d'écrire, qu'il a une bibliothèque pleine de romans jamais publiés, mais surtout qu'il a dédié toute sa vie à l'écriture, dans une quête éperdue et insensée. Et qu'il est hanté par une femme, une autre Clara, aimée jadis et qui lui a volé le manuscrit de son grand roman, Les Foulures lentes.

 

Ce roman est un hymne d'amour à l'écriture, et toutes ces pages où le vieil homme confie à la jeune femme la douleur, le plaisir et la nécessité d'écrire sont époustouflantes de beauté et d'émotion. Je ne crois pas avoir jamais lu quelqu'un qui dissèque avec autant de précision et de lucidité son rapport à l'écriture. L'écriture, cette obsession et cette magie, cette angoisse et ce remède, cette fuite et cette prison, cette quête toujours renouvelée, cette maîtresse volage et possessive.

 

Et le vieil écrivain se révèle plus complexe qu'il n'y parait. Norman Jail n'est pas son vrai nom, et il confesse avoir écrit sous plein de noms différents. D'ailleurs, il se contredit beaucoup. Il consent tout de même à laisser Clara lire l'un de ses manuscrits.

 

"Ce que j'aime dans le roman, c'est qu'il dit la vérité. Dans la vie, on passe son temps à mentir aux autres et, plus grave, à se mentir. On esquive, on tait, on tord. Le roman, lui seul, touche au vrai, sous prétexte de tout inventer. Vous lirez, ici tout est vrai car rien n'est vrai. "

 

Vertigineux roman que ce roman dans le roman, dont le titre change à chaque chapitre puisqu'il n'est composé que de chapitres 11. Exercice un rien borgésien, en forme de kaléidoscope qui brouille les temps et les lieux, et métaphore de cette entreprise toujours recommencée et jamais achevée qu'est l'écriture d'un roman, et du roman qui réécrit sans fin la vie. L'écriture y devient le moyen de conjurer la mort et de revivre le passé, en le rectifiant. L'écriture pour trouver le chemin vers soi, l'écriture pour réinventer sa vie, encore et encore.

 

"Je suis né en écrivant mes livres. Je suis l'auteur de mon acte de naissance. Il comprend des milliers de pages. Écrire est une perpétuelle naissance. Plus j'écris, plus je m'invente à mes propres yeux. Je m'écris en main propre. Je nais de mon encre et je glisse entre les lignes ma part de nuit."

 

Vivre ou écrire ? Telle est la question que semble poser Éric Fottorino2 dans ce magnifique roman, où l'on constate que l'auteur aime autant jouer avec les mots qu'avec son lecteur. Un gros coup de cœur.

 

"J'ai rempli des pages avec mes mots parce que la vie ne me remplissait pas."

 

Gallimard, coll. Blanche, 2016. - 202 pages, constellées de post-it.

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1. Faut-il rappeler qu'Éric Fottorino est le créateur d'un hebdo baptisé Le 1 ?

2. Un peu comme Camille Laurens, dont le roman n'est d'ailleurs pas sans parenté avec celui-ci.

 

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J
Un auteur que j'apprécie particulièrement, qui possède un ton et un univers vraiment à part.
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P
Je ne l'avais encore jamais lu, et ce fut une très belle découverte.
S
Très tentant. Je garde un souvenir fort de "Korsakof" de l'auteur.
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P
Je n'avais encore jamais lu cet auteur, mais j'ai eu un vrai coup de coeur pour ce roman.
D
Toi, on peut dire que tu sais me parler... et me tenter !<br /> J'aime tous les mots de ton billet : les tiens et ceux de Fottorino.<br /> Evidemment, j'inscris ce livre sur la liste de mes envies !
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P
Tant mieux, j'ai vraiment eu un gros coup de coeur avec ce roman, qui aborde plein de thèmes que j'aime. Et encore une belle plume.
A
Je n'aime pas beaucoup les livres sur les livres .. par contre j'ai très envie de découvrir l'auteur, j'ai le choix avec tout ce qu'il a écrit.
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P
Celui-ci est moins un livre sur les livres qu'un livre sur un écrivain, et j'ai vraiment découvert un écrivain avec Fottorino.
N
Il me le faut !
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P
Oh oui !
L
J 'aime bien cet auteur et comme c'est un auteur connu ce livre trouvera sa place dans la médiathèque, alors quand je le lirai je penserai à ce que tu en as dit , (juste assez pour donner envie)
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P
Je ne l'avais jamais lu et c'est dommage parce sue ce fut une très belle découverte.
C
C ay est, acheté !
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P
Je crois que tu vas aimer :-)