Entre ciel et terre - Jon Kalman Stefansson

Publié le par Papillon

"L'existence humaine se résume à une course contre la noirceur du monde, les traîtrises, la cruauté, la lâcheté, une course qui paraît si souvent tellement désespérée, mais que nous livrons tout de même tant que l'espoir subsiste."

"Nulle chose ne m'est plaisir, en dehors de toi."  C'est pour quelques vers de Milton que le jeune pêcheur Baldur va oublier sa vareuse et mourir de froid. Nous sommes en Islande au XIXe siècle, dans un petit village de pêcheurs où la vie est rythmée par le passage des saisons, une vie rude aux confins du monde, une vie de glace et de neige. Il y a pourtant, en ces temps incertains et sauvages, quelques hommes qui aiment les livres, qui se laissent bercer par des histoires et envouter par des mots. Au péril de leur vie, parfois.

Jon Kalman Stefansson nous décrit le quotidien laborieux de ces hommes et de ces femmes, pêcheurs l'hiver, cultivateurs ou commerçants l'été. Une vie sur laquelle plane sans cesse l'ombre de la mort, car la vie ne tient qu'à un fil dans ces glaciales contrées. A travers le destin de quelques hommes frustes mais sensibles, l'auteur se livre à une très belle méditation sur la vie et la mort, sur le sens de la vie, sur l'incertitude qui est en l'essence même, qui en fait à la fois le prix et la douleur. 
 
"L'enfer, c'est d'être mort et de prendre conscience que vous n'avez pas accordé assez d'attention à la vie à l'époque où vous en aviez la possibilité."
 
J'ai beaucoup aimé la première partie : quelques hommes sur une barque, ramant sous la neige pour aller pêcher la morue. L'unité de temps, de lieu, et d'action y crée une atmosphère de tragédie. La rudesse de la vie n'empêche pourtant pas les rêves d'amour, de douceur et de sensualité. Mais rien ne résiste au froid et à la glace. Ce qui permet à l'auteur d'opposer sans cesse la grandeur et la beauté de la nature à ses dangers. 
 
La seconde partie est plus drolatique qui nous fait rencontrer tous les habitants du village, de l'accorte patronne d'auberge à l'épicier mélomane, et du capitaine de bateau alcoolique à l'aveugle poète. La vie l'emporte toujours sur la mort, l'amour et le désir effacent le deuil, l'alcool et la poésie font oublier le reste.
 
Un roman qui met de l'eau plein les yeux, porté par une très belle plume, poétique et profonde, qui philosophe sur le peu de poids de la vie face à la rigueur de la nature, sublime mais impitoyable.
 
"Les mots sont des flèches, des balles de fusil, des oiseaux légendaires lancés à la poursuite des héros, les mots sont des poissons immémoriaux qui découvrent un secret terrifiant au fond de l'abîme, ils sont un filet assez ample pour attraper le monde et embrasser les cieux, mais parfois, ils ne sont rien, des guenilles usées, transpercées par le froid, des forteresses caduques que la mort et le malheur piétinent sans effort."
 
 
Traduit de l'islandais par Éric Boury.
Gallimard, 2010 ; Folio, 2011. - 255 p. 
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A
Un magnifique souvenir de lecture !
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P
Une très belle plume.
J
Ah Stefansson, mon chouchou ! Il écrit merveilleusement bien et la traduction d'Eric Boury est incroyable. La tristesse des anges, qui est le second de la trilogie, est pour moi son chef d'oeuvre.
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P
D'ailleurs, c'est parce que tu en as beaucoup parlé qu'il m'a attiré l'oeil en librairie ! Je crois que je vais continuer sur ma lancée puisque trilogie il y a .
D
sa trilogie est vraiment un excellent souvenir de lecture et je sais que je la relirai
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P
Ah, je n'avais pas noté que c'était une trilogie, voilà qui est intéressant. Je vais chercher les autres tomes alors.
C
Bonjour <br /> Pas vraiment mon style de lecture , maisje reste ouverte à toute nouvelles choses , alors pourquoi pas ..<br /> Bonne journée
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P
Parfois, ce n'est pas désagréable de sortir de ses habitudes :-)
D
Tu en parles très bien, Papillon. Cependant, je ne suis pas sûre qu'il soit pour moi...
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P
C'est très loin de tout ce que l'on trouve actuellement dans la littérature contemporaine, mais il écrit très, très bien. Mais je comprends que des pêcheurs islandais au XIXe siècle, ce ne soit pas très attirant ;-)
A
Sur ma liste depuis longtemps, je crois qu'il est au festival des Boréales cette année et j'ai l'intention d'y aller ..
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P
Je l'ai déjà entendu sur France Inter et c'était vraiment bien : c'est un vrai poète avec un univers très singulier. Je crois que tu aimerais.