Les funambules - Antoine Bello
"[Il] se demanda ce qu'il avait cherché au cours de toutes ces années qu'il ne pouvait trouver au fond de lui."
Les cinq nouvelles de ce recueil explorent le même thème : le destin singulier d'hommes aux dons exceptionnels et en quête d'absolu.
Dans Manikin 100, le sculpteur Kreuzer fabrique des mannequins comme on en voit dans les grands magasins, mais chacun est une œuvre d'art unique et plus belle que la précédente.
"J'aimerais que Manikin 100 soit un tel achèvement que l'art du mannequin ne puisse être derrière qu'une longue décadence avant la mort."
Dans Soltino, un funambule met son fil de plus en plus haut dans une quête qui frôle la folie.
"L'essentiel n'était plus de s'éloigner de la terre mais de se rapprocher des couches les plus élevées de l'atmosphère."
Dans Go Ganymede! un astronaute part pour un long voyage vers Jupiter et se condamne à une glaciale solitude sous les yeux de la Terre entière.
"Parce qu'elle voit en lui une mécanique parfaite, l'Agence ne conçoit pas qu'il puisse flancher."
Dans Le dossier Krybolski, un fonctionnaire soviétique cherche désespérément la dissidence chez un champion de jeu de quilles. Et dans L'année Zu, un écrivain minimaliste condense tellement son œuvre qu'elle tient toute entière dans quatre pages.
Ces cinq hommes ont en commun la quête d'une impossible perfection qui confine à l'absurde et mène à l'effacement de soi.
"Chacune de tes œuvres entamera tes ressources, si bien qu'un beau jour il ne te restera plus rien."
Cinq destins tragiques, sauf un, contrepoint comique des quatre autres et bouffée d'oxygène dans un recueil d'une sombre beauté. Si Maximilien Zu m'a fait sourire, Soltino m'a fait frémir et Jim Mute m'a fait pleurer.
"Il pense. Son esprit est comme un labyrinthe, dans lequel il avance sans penser au retour et dont les allées sont peuplées de fantômes.(…) Il se souvient qu'en bifurquant toujours à gauche, il arrivera au centre du labyrinthe où l'attend le repos."
Mais ma préférence va à Manikin 100, à l'atmosphère un peu irréelle où je n'ai pu m'empêcher de voir une belle métaphore de l'écriture, car l'écrivain aussi taille dans la matière brute de son imaginaire pour créer une œuvre belle et singulière, qu'il polit avec persévérance et application avant de la livrer au public qui lui donnera son identité finale.
Cinq histoires comme autant de petits bijoux finement ciselés où Antoine Bello nous offre peut-être ses plus belles pages et nous prouve qu'il excelle aussi bien dans le format court que dans le gros pavé. Si vous cherchez la porte d'entrée vers l'univers si particulier de cet auteur, lisez absolument ce recueil. Un recueil qui clôt mon cycle Bello, mais un écrivain avec lequel je suis loin d'en avoir terminé.
Gallimard, 1996 ; Folio, 2009. - 244 p.