Pour trois couronnes - François Garde
« Une vie, ce n’est pas seulement la somme des choix que l’on a fait. Elle est cette somme multipliée par le regard des autres, et divisée par le coefficient imprescriptible du hasard. »
Américain d'origine libanaise, Philippe Zafar vit à New York, où il s'est inventé un métier : curateur aux documents privés, qui consiste à trier et classer les archives des défunts, pour épargner un supplément de peine à la famille endeuillée. Alors qu'il s'occupe des archives de feu Thomas Colbert, milliardaire d'origine française, propriétaire d'une grosse compagnie maritime, il tombe sur un document singulier. Une note manuscrite raconte comment un jeune marin reçut trois couronnes d'or pour coucher avec une femme masquée. Anecdote fictive ou vrai souvenir ? Et cette transaction aurait-elle eu pour objet de produire une grossesse ? La veuve, qui n'a pas d'héritier, charge Zafar de trouver la clé de l'énigme.
Ce roman est à la fois une enquête minutieuse sur un personnage aussi secret que puissant, et un roman d'aventures qui nous emmène dans les mers australes. Le narrateur s'accroche à tous les indices pour remonter le fil de l'histoire : des couronnes en or, un roman de Karen Blixen, un tableau de Géricault, interrogeant, de Seattle à Dijon, les témoins vieillissants d'une époque disparue, fouillant des archives, publiques ou privées. Sa traque le mène sur une île tropicale, ancienne colonie française totalement imaginaire, qui se remet à peine d'une violente guerre civile. Ce contexte ramène Zafar à sa propre histoire et à sa naissance dans un Liban déchiré. A travers la quête d'un rejeton hypothétique, le narrateur cherche l'image de son propre père, brutalement disparu.
J'ai beaucoup aimé le côté enquête généalogique qui, de vieux papiers oubliés, fait jaillir des personnages de chair et de sang, avec leurs rêves, leurs désirs et leurs frustrations, et comment derrière des façades bien proprettes se cachent des histoires tumultueuses, des secrets inavouables, des destins contrariés. Un roman qui interroge très finement la question de la filiation, pose de vraies questions politiques, et déroule une multitude de petites histoires, toutes plus ou moins imbriquées les unes dans les autres. C'est passionnant, joliment écrit et parfaitement construit.
J'ai tellement aimé que je me suis précipitée à la bibliothèque pour emprunter le premier roman de l'auteur, Ce qu'il advint du sauvage blanc, qui avait reçu le Prix Goncourt du premier roman en 2012.
Gallimard, 2013. - 295 p.