Miss Mackenzie – Anthony Trollope
« Quand un célibataire quadragénaire dit à une célibataire de trente-six ans qu’elle est la plus chère amie qu’il ait au monde, il estime sûrement que ni elle ni lui ne doivent rester célibataires plus longtemps. »
Miss Mackenzie est une vieille fille de trente-cinq ans qui a passé sa vie à s'occuper d'autrui : son père d’abord, son frère ensuite. Quand celui-ci meurt, elle hérite d’une coquette somme et se prend à rêver d’une vie personnelle. Mais sa petite fortune autant que son inexpérience de la vie font d’elle une proie rêvée pour les coureurs de dot. Trois hommes vont se mettre sur les rangs et voilà Miss Mackenzie bien ennuyée. D’abord parce qu’elle n’est pas tout à fait sûre de vouloir se marier, ensuite parce qu’elle hésite entre ces trois prétendants, bien différents les uns des autres. Le premier, l’associé de son frère, est bel homme mais vulgaire et un brin escroc ; le second est un ecclésiastique rusé qui louche horriblement ; le dernier est un cousin, futur baronnet, vieux, chauve, et nanti d’une famille nombreuse. Les trois prétendants, de trois milieux sociaux bien différents, ont en commun de n’être intéressés que par son argent.
Trollope décortique avec une ironie mordante la société victorienne et montre combien l’argent pervertit les rapports humains. Il est beaucoup question, dans ce roman, de mariage et d’argent, et bien peu de sentiments. A travers les trois prétendants à la main de Miss Mackenzie, Trollope s’en prend à toutes les classes sociales. Miss Mackenzie, parce qu’elle a soudain huit cents livres de rente, devient objet de convoitise, de jalousie et de médisance. Et elle, à la fois naïve et généreuse, qui ne pense qu’à aider sa famille (qui ne le mérite pourtant pas !) tombe de piège en piège. Heureusement, elle a plus de personnalité que son air doux et gentil ne le laisserait penser, et n’hésite pas à s’opposer à toux ceux qui voudraient lui imposer un destin dont elle ne veut pas. La première partie du roman est très drôle, la seconde bien plus cruelle : les masques tombent et les vrais désirs se font jour, et ce n’est pas beau à voir.
Trollope est à la fois un fin connaisseur de la nature humaine, un observateur avisé de la société de son temps et un merveilleux conteur dont la plume fluide enchante le lecteur. Il se moque de tout le monde dans ce roman, pour notre plus grand plaisir, tout en gardant toute sa tendresse à son héroïne, qui le mérite bien.
« Quand une dame qui songe à se marier s’entend demander, par un monsieur auquel elle songe souvent, si elle n’a pas besoin d’un être à aimer, il est naturel qu’elle le soupçonne d’avoir une intention précise. »
L’avis de Yue Yin
Lu dans le cadre du Mois anglais
Traduit de l’anglais par Laurent Bury.
Editions Autrement, 2008 (1e éd. 1865). – 428 p.