En cette veille de Jour des morts, le Blogoclub a décidé de mettre à l’honneur Boris Vian qui nous a quittés il y a exactement cinquante ans, Boris Vian, artiste multiforme et inclassable : musicien, dramaturge, poète et écrivain, dont l’œuvre se révèle d’une incroyable modernité.
L’Arrache-cœur emprunte son titre à une arme qui apparaissait dans un précédent roman de Vian, L’Ecume des jours, qui reste pour moi le choc littéraire de mes dix-sept ans. Le roman s’ouvre sur un accouchement et la naissance de trois bébés, des trumeaux donc, accueillis par un psychiatre qui passait par là. Bienvenue dans le monde surréaliste de Boris Vian, un univers à la fois dur et poétique. Poétique parce que les chats parlent, les enfants volent et les chèvres font du stop. Cruel parce que les animaux y sont torturés, les enfants maltraités et les vieux vendus à l’encan comme de vulgaires meubles usagés. Dans cet étrange village au bord de la falaise, Clémentine, mère abusive ne pardonne pas à son mari les douleurs de l’enfantement. Privé de sa paternité, Angel construit un bateau à pattes pour fuir, pendant que Clémentine imagine tous les moyens possibles pour mettre ses enfants à l’abri de tous les dangers qui les guettent. Jacquemort, qui souffre d’un vide existentiel qu’il n’arrive pas à combler, cherche désespérément quelqu’un à psychanalyser. Faute d’y parvenir, il fornique tristement avec les bonnes. Pendant ce temps, un curé hystérique et baroque exhorte ses ouailles à considérer la religion comme un luxe (et leur lance cette phrase qui fait ma joie : "Dieu n'est pas un arrosoir !") et le vieux Gloïre mène sa barque sur un fleuve de sang qui engloutit toutes les hontes.
Roman étrange qui décrit notre monde dans ses extrêmes : douceur et brutalité, beauté et laideur, désirs et hontes. Roman très riche qui multiplie les thèmes : maternité, famille, vieillesse, religion, psychanalyse, enfance et nature. Boris Vian semble régler ses comptes en imaginant un monde où le masque social n’aurait plus court et où chacun cèderait à ses pulsions. C’est à la fois beau et terrifiant, d’autant que l’auteur ne cesse de jouer avec la langue, inventant des mots, détournant des expressions, déstabilisant son lecteur d’un bout à l’autre. Ce roman, paru en 1953, devait être le premier d’un trilogie, mais il fut si mal accueilli que Vian renonça à en écrire la suite. Et pourtant, je le trouve étrangement prémonitoire du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui…
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Le Livre de poche, 1968. – 222 p.