Kindle or not Kindle ?
Depuis quelques semaines, Amazon se livre à une grande opération publicitaire pour promouvoir sa liseuse électronique, le Kindle, vendu au prix de 99 €. Tentant, non ? 99 €, ça représente 4 ou 5 livres brochés (ou une dizaine de poches), ce qui, pour un gros lecteur, n'est pas un budget énorme. Et le livre électronique, c'est la possibilité de transporter sa bibliothèque dans son sac et de se lancer dans la lecture des classiques sans dépenser un centime et sans encombrer ses étagères de livres que l'on ne lira jamais. Donc, je suis allée faire un tour chez Amazon (dont je ne suis d'ailleurs pas cliente pour mes achats de livres), frétillant déjà de l'impatience de découvrir cet objet plein de promesses.
Et là, stupeur ! J'ai découvert qu'acheter un Kindle allait m'obliger à acheter tous mes livres numériques chez Amazon (dont je ne suis pas cliente, donc). Avec son Kindle à 99 €, Amazon va donc faire de moi ce que l'on appelle un "client captif", tout ce que je déteste, par définition. Et surtout, ce qui représente à mon avis la disparition à plus ou moins long terme des libraires, des librairies, et d'une certaine forme de littérature.
Laissez-moi vous raconter une petite histoire.
Quand j'étais ado (dans les années soixante-dix) et que j'avais envie d'acheter un disque, j'allais chez le disquaire, où je trouvais toujours de bons conseils. Puis les disquaires de quartier ont complètement disparu. Pourquoi ? Parce que c'est dans les années soixante-dix que la grande distribution a explosé, et elle n'a pas tardé à se jeter sur le marché du disque comme un requin sur un surfer bien gras, en proposant des disques à des prix défiant toute concurrence. Résultat : les magasins de disques ont tous disparu en quelques années. Si les librairies ont survécu c'est grâce au Prix Unique du livre (Merci, Jack !) qui fait que le livre est, certes, un peu plus cher en France qu'ailleurs (que dans les pays anglo-saxons, par exemple), mais que l'offre éditoriale y est aussi riche et variée. Nous autres, blogueurs, nous nous plaignons parfois qu'il y a trop de livres à lire. Prenons garde de ne pas avoir à déplorer l'inverse dans quelques années.
Parce que voici ce qui risque d'arriver : quand Amazon, gràce à son Kindle et à ses clients captifs, pourra se targuer de suffisamment de parts du marché du livre, il ne va pas tarder à réclamer la suppression de la loi Lang (mondialisation, libre concurrence, etc...), une brèche dans laquelle il s'est d'ailleurs dejà largement infiltré en supprimant les frais de port. Et là, ce sera la fin de la librairie, des libraires, des conseils de lecture et d'une certaine littérature. Car le but de la grande distribution, comme son nom l'indique, c'est de vendre en masse (fromages, chaussures ou bouquins, peu importe) pour faire un maximum de profits. C'est pourquoi sur Amazon les conseils de lecture se limitent aux avis des lecteurs et aux listes de livres les plus lus : on vous dirige vers ce qui se vend bien et pas forcément vers ce que vous aimeriez lire ou découvrir. Dans un tel contexte économique, quel éditeur prendra le risque d'éditer un Kobe Abe, un Edgar Hilsenrath ou un Coetzee, alors qu'il est si facile de vendre du Lévy, du Musso ou du JK Rowlings ?
Depuis trente ans, la grande distribution a réussi à remplir nos assiettes de merde, elle en fera autant avec nos bibliothèques, si nous n'y prenons garde ! Amis des livres, qui voulez promouvoir la lecture et les bons romans, vous possédez deux pouvoirs : un pouvoir de citoyen avec votre bulletin de vote, et un pouvoir de consommateur avec votre carte bleue. Les récents évènements économiques vous ont montré à quel point le premier se dévalue pendant que la seconde prend du poids. Si vous voulez choisir le monde dans lequel vous voulez vivre, et les livres que vous voulez lire, faîtes bon usage de votre carte bleue. Et donc, en ce qui me concerne, le choix est vite fait :
le Kindle ne passera pas par moi !