Patrick Modiano - Un pedigree

Dans ce court texte, Patrick Modiano raconte les vingt et unes premières années de sa vie (jusqu’à sa majorité). Il est né en 1945, tout près de Paris, d’un père juif et d’une mère flamande qui s’étaient connus pendant l’Occupation. Tous deux fréquentaient un milieu interlope louche, à mi-chemin entre banditisme et collaboration. Son père, notamment, vivait du marché noir. Après le guerre, ses parents ne tardent pas à vivre leur vie chacun de leur côté, la mère comme comédienne de second ordre, le père faisant des « affaires », dont on ne saura jamais très bien en quoi elles consistent. Leur deux fils sont quasiment laissés à l’abandon, tantôt ici et tantôt là, comme deux paquets encombrants…
Ce livre est tout simplement bouleversant. Il n’a pas de réelle structure narrative, mais des listes de noms et de lieux, des moments, des anecdotes. On dirait que l’enfance de l’auteur de réduit à une boite à chaussures contenant de vieux papiers : photos jaunies, coupures de journaux, lettres froissées, tickets de métro ou billets de train. A partir de ces éléments, il tente de reconstituer le puzzle et les années se succèdent, de pension en internat, dans une solitude poignante, accentuée par la mort de son frère, quand il a onze ans. De cette mort, pourtant brutale, le lecteur ne saura rien : accident, maladie ? L’auteur exprime très peu de sentiments dans cet ouvrage, seulement des faits. En grandissant, il entretient des rapports de plus en plus difficiles avec ses parents. Son père, remarié, décide de sa vie pour lui et cherche par tous les moyens à l’expédier le plus loin possible. Quant à sa mère, une femme très dure, toujours à cours d’argent, elle compte sur lui pour en trouver. Pourtant, de ses parents, il dit qu’il ne leur en veut pas. Quand le livre s’achève, il a enfin vingt et un an et apprend que son premier roman va être publié.
Ce livre, très court, se lit en deux heures, mais on en sort avec une énorme boule dans la gorge. Il explique, en tout cas, une bonne partie de l’œuvre de Patrick Modiano et des thèmes qui l’obsèdent. On y retrouve la même atmosphère mélancolique que dans romans et les mêmes personnages sans passé et sans avenir. Ce livre m’a donné envie de relire l’intégralité de son œuvre.
Extrait :
« Mais la vie continuait sans que l’on sût très bien pourquoi l’on se trouvait à tel moment avec certaines personnes plutôt qu’avec d’autres, à tel endroit plutôt qu’ailleurs, et si le film était une version originale ou une version doublée. Il ne m’en reste aujourd’hui à la mémoire que de brèves séquences. »
Gallimard, 2005. - 122p.