Des effets secondaires de l'abus de romans
« Le docteur Clifton vint me voir. Il m’ausculta et me posa des tas de questions. « Insomnies ? Sommeil irrégulier ? Cauchemars ? »
Par trois fois , j’acquiesçai de la tête.
« C’est bien ce que je pensais. »
Il prit un thermomètre et me demanda de le mettre sous la langue, avant de se lever et d’aller à la fenêtre. « Et que lisez-vous ? » me demanda-t-il, le dos tourné.
Avec le thermomètre dans la bouche, je pouvais difficilement répondre.
« Les Hauts de Hurlevent… vous avez lu ?
— Hm-m…
— Et Jane Eyre ?
— Hm-m…
— Raison et sentiments ?
— Hm-m… »
Il se retourna et me regarda, l’air grave. « Et ces livres, je suppose que vous les avez lus plus d’une fois ? »
Je hochai la tête, et il fronça les sourcils.
« Lus et relus ? A de nombreuses reprises ? »
Nouveau hochement de tête. Et froncement de sourcils plus prononcé.
« Depuis l’enfance ? »
J’étais déconcertée par ces questions, mais le sérieux de son regard m’obligea à acquiescer une nouvelle fois.
(…)
Il me retira le thermomètre de la bouche, croisa les bras, et rendit son diagnostic. « Vous souffrez du mal qui affecte généralement les femmes à l’imagination romanesque. Au nombre des symptômes, on peut citer les évanouissements, la fatigue, la perte d’appétit, la dépression. On serait tenté d’attribuer la crise à une sortie sous une pluie glacée sans protection imperméable adéquate, mais il est probable que, à un autre niveau, plus profond, c’est un choc émotionnel qui en est la cause. Toutefois, contrairement aux héroïnes de vos romans préférés, votre constitution n’a pas été affaiblie par les conditions difficiles des siècles précédents. Pas de tuberculose, pas de polio dans l’enfance, pas d’environnement insalubre. Vous survivrez. »
(…)
Diane Setterfield, Le treizième conte.