Trencadis - Caroline Deyns
"J'ai eu de la chance de rencontrer l'art parce que j'avais, sur le plan psychologique, tout ce qu'il faut pour devenir une terroriste." (Niki de Saint-Phalle)
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L'originalité de ce texte, c’est qu'il utilise la même technique qu'employait Niki de Saint-Phalle dans la plupart de ses œuvres, celle de la mosaïque ou trencadis, ou comment recycler du vieux pour faire du neuf, "un cheminement bref de la dislocation vers la reconstruction". L'art pour Niki de Saint-Phalle était une nécessité née d'un traumatisme : le viol par son père quand elle avait onze ans, un traumatisme qui la poussera dans la dépression et la conduira plus tard dans ce qu'on appelait encore dans les années cinquante un asile. "J'ai commencé à peindre chez les fous", disait-elle. Voilà comment cette ravissante jeune femme, qui a déjà mis beaucoup de distance entre elle et son aristocratique famille franco-américaine, abandonne en 1956 mari et enfants pour s'installer à Paris dans une cité d'artistes. L'autodidacte qu'elle est commence à créer à partir de matériaux de récupération. Cette femme va littéralement se reconstruire et s'inventer comme artiste pour échapper à ses démons. Celle que l'on décrit alors comme "vive, tordue, déterminée" va utiliser ses créations pour faire jaillir d'elle la violence qui l'habite et qui l'étouffe, et concevoir une œuvre d'une folle originalité : l'art comme psychanalyse.
"Les couleurs sont en réalité des tristesses noires qui se griment en Arlequin pour s'assurer qu'on ne les reconnaisse pas : un désespoir qui voudrait passer incognito."
Caroline Deyns se livre à son tour à un véritable travail de déconstruction et de reconstruction de la femme derrière l'icône de l'art contemporain, en mélangeant citations, interviews et correspondances, éléments biographiques, analyses d'oeuvres et témoignages, allant jusqu'à prendre la parole à sa place, pour faire apparaître le portrait d'une artiste rebelle et féministe, qui fut vraiment une femme de son temps, qui voyait dans le mariage et la maternité un esclavage, et qui a mis le féminin sous toutes ses facettes au cœur de son œuvre. J'ai trouvé que ce mélange des genres était une vraie trouvaille qui rend autant hommage au travail de Niki de Saint-Phalle qu'à la femme complexe et torturée qu'elle était, et j'ai beaucoup aimé comment l'autrice montre à quel point la création artistique peut parfois être une question de survie, et comment l'oeuvre se fait miroir de la psyché.
Et comme le résultat est un objet littéraire très original, il plaira sans doute autant aux amateurs d'art qu'aux amateurs de textes atypiques.
Quidam éditeur, 2020. - 360 p.