Le banquet annuel de la Confrérie des fossoyeurs - Mathias Enard
"Les mouvements de la Roue, qui porte les êtres de mort en naissance et de renaissance en mort, toujours dans la douleur, des mains sanglantes des accoucheuses jusqu'aux épaules des fossoyeurs aux longues figures, vers la terre ou le feu, sans avoir les moyens d'échapper au Destin."
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David Mazon, jeune ethnologue qui prépare une thèse sur la vie rurale au XXIe siècle, s'installe pour une année à La Pierre-Saint-Christophe, petit village des Deux-Sèvres, situé à une encablure du Marais Poitevin, dans le but d'y mener des entretiens auprès des autochtones. Grâce au maire du village, qui se trouve en être aussi le fossoyeur, David est très vite présenté à la fine fleur du lieu : des paysans qui y résident depuis des générations, mais aussi un artiste excentrique, un couple d'Anglais, un patron de bar toujours ronchon, quelques chasseurs et une poignée de joueurs de cartes. Le premier chapitre du roman est constitué par le journal de David, aussi enthousiaste que naïf, dans le genre jeune chercheur parisien qui se rêve en Lévi-Strauss du Bas-Poitou, et découvre les charmes (et les aléas) de la vie à la campagne, à savoir les vers dans la salle de bains, l'impossibilité de se déplacer sans être motorisé et le profond ennui des soirées hivernales...
Mais ce premier chapitre est surtout prétexte à planter un décor et une ambiance, car David et sa thèse vont bientôt passer au second plan. En effet, l'auteur utilise un procédé très malin, à savoir la théorie que tout être, humain, animal ou végétal, ne cesse de se réincarner en un autre être à chacune de ses morts, pour nous offrir, en plus d'une réflexion à la fois burlesque et mélancolique sur la vie et la mort, une épopée virevoltante à travers des siècles d'histoire régionale ; un voyage qui va de Clovis à Napoléon et des Croisades aux Guerres de religion, et nous trimballe de Poitiers à La Rochelle, et de Niort à Rochefort. Mathias Enard dessine une fresque haute en couleurs qui mélange les genres littéraires et culmine avec le très rabelaisien festin des fossoyeurs (dont la seule lecture vous fait prendre trois kilos sur la balance).
J'aimerais pouvoir dire que cette lecture fut un régal, mais la vérité est que j'ai beaucoup souffert avec ce bouquin, que j'ai failli abandonner à mi-parcours tant il m'a semblé boursouflé. Je n'ai persisté que parce que l'auteur s'appelle Mathias Enard. J'admire réellement la prouesse stylistique qui consiste à pirouetter d'une époque à une autre dans une même phrase, tout comme l'érudition dont fait preuve l'auteur dans ce roman qui croise histoire, géographie, histoire naturelle, gastronomie, sorcellerie, poésie et culture populaire. Mais je trouve qu'il y a trop de tout dans ce livre et que le résultat est aussi indigeste qu'une jolie pâtisserie trop sucrée.
Actes Sud, 2020. - 432 p.