Les caves du Potala - Dai Sijie

Publié le par Papillon

"Comme tous les Tibétains, il ignorait la tragédie de la mort. Elle ne marquait que le bref passage d'une forme de vie à une autre, non une disparition définitive dans les abîmes d'un mystère insondable."
 

1968 : la Chine est en pleine révolution culturelle, et le Tibet aussi, puisque ce pays est sous domination chinoise depuis 1950.  Le quatorzième Dalaï-lama a dû s'exiler, et son palais de Lhassa, le Potala, est devenu le siège d'un groupe de fanatiques Gardes Rouges obéissant aux ordres d'un chef totalement enragé, surnommé le Loup. Dans les caves du Potala, anciennes prisons du royaume, on torture des prisonniers. Parmi eux, un très vieil homme qui fut autrefois l'un des dignitaires du régime tibétain. Bstan Pa fut en effet pendant des décennies le peintre officiel du dalaï-lama, chargé notamment d'exécuter les tankas, ces peintures rituelles du bouddhisme tibétain. Alors que le Loup tente de lui faire avouer les mille et une turpitudes de son ancien maître, le vieil homme se réfugie dans ses souvenirs pour fuir la peur et la douleur. Né en 1888 sur les rives du lac sacré Manasarovar, Bstan Pa était encore un enfant quand ses parents, de pauvres paysans montagnards, le confièrent au monastère de Drepung, aux bons soins du lama Snyung Gnas, dont il devint l'apprenti et qui l'initia à la fois à l'art et à la spiritualité. Plus tard, son grand talent le conduisit jusqu'à Lhassa dans l'entourage du Grand Treizième, qu'il accompagna jusque dans son séjour à Pékin, au temps de la cruelle Impératrice Cixi. A la mort du treizième Dalaï-lama, il fut chargé de trouver son successeur, le tulkou, c'est-à-dire l'enfant dans le quel il s'était réincarné.

"Le porche avait perdu ses couleurs vives, le rouge et l'ocre des fenêtres s'étaient ternis, du safran de l'avant-toit ne restait que le souvenir, les médaillons en saillie des frises étaient saccagés, la plupart des vitres brisées... Le bâtiment des tankas avait beau être défiguré, aux yeux de Bstan Pa il resterait éternellement le lieu splendide et énigmatique qui l'avait subjugué dans son enfance."

Ce roman est à la fois un hommage à la culture millénaire du Tibet et un rappel de son destin tragique. En multipliant les allers retours entre différentes époques, Dai Sijie nous présente la grandeur et la chute d'un royaume épris de beauté et de spiritualité, dont l'art délicat a été systématiquement ravagé par les Chinois. Avec ce personnage de lama peintre, l'auteur nous introduit dans les arcanes d'un art d'une grande richesse, tout en nous proposant une très émouvante (et quelque peu éprouvante) promenade dans plus de soixante ans d'histoire tibétaine, à travers la vie d'un homme qui fut aussi riche sur le plan artistique qu'historique. Mais je n'ai pas totalement retrouvé la fantaisie et le grand don de conteur de Dai Sijie dans ce texte, qui balance entre récit historique et fiction romanesque. Il souffre d'un double effet de trop et de trop peu : trop d'informations en trop peu de pages. Le texte est truffé d'une abondance de notes évoquant des lieux, des gens, des coutumes ou des termes tibétains, ayant pour but d'éclairer le lecteur sur l'histoire et les traditions du Tibet, mais qui nuisent au plaisir de lecture. On s'attache cependant à ce jeune peintre talentueux, et à ses différents maîtres (celui qui lui enseigna l'art sacré du tanka et son maître spirituel, le Dalaï-lama), tout en se sentant un peu frustré de ne pas en apprendre plus sur lui, sur eux et sur l'histoire tibétaine.
 
Gallimard, col. Blanche, 2020. - 192 p.
 
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L
j'aime beaucoup cet auteur, c'est une voix importante pour comprendre ce qui se passe en Chine.
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P
Je suis d'accord et le sujet qu'il aborde dans ce roman est vraiment intéressant, mais j'ai été moins emballée que d'habitude.
D
Le début de ton article a suscité ma curiosité et mon intérêt pour un livre vers lequel je ne serais pas allée spontanément. Mais j'avoue que la fin a un peu douché mes ardeurs... Du coup, pas sûr :-)
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P
Oui, je suis restée un peu sur ma faim, même si toutes les pages sur l'art sont très belles.
M
Oh, je ne lis que la fin de ta chronique car ce roman m'attend, et je constate que ton avis n'est pas si enthousiaste, alors que, comme toi, je me réjouissais de relire l'auteur.
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P
C'est peut-être parce que j'en attendais beaucoup que j'ai été déçue... J'ai hâte d'avoir ton avis.
K
Je crois bien que je n'avais pas encore lu d'avis sur ce roman... Comme tu n'es pas enthousiaste et que je crains les scènes éprouvantes, je passe.
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P
J'avoue que j'ai préféré tout ce qui a trait à l'histoire de ce peintre, que les scènes avec les gardes rouges...
A
Avis en demi-teinte alors. Je tenterai éventuellement à la bibli.
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P
Le sujet est intéressant, mais je suis restée un peu sur ma faim....