Le grand vertige - Pierre Ducrozet
"L'hyper-capitalisme est une guerre, avec plusieurs fronts, des batailles et des morts, une avancée tranquille vers le néant."

J'ai un sentiment très ambivalent sur ce roman. Il faut lui reconnaître d'être très bien écrit, et donc très plaisant à lire. La plume est vive, alerte, précise et enjouée. Mais ça court à toute vitesse, aux quatre coins de la planète, donnant au lecteur la sensation d'être sur un manège devenu fou, qui lui fait faire le tour du globe en quelques pages, de l'Amazonie à la Chine, du Canada à la Birmanie, et de la Belgique au Kenya. A ce niveau-là, le roman mérite parfaitement bien son titre... Et de temps en temps, l'histoire s'accorde une pause, vaguement ennuyeuse, dans un hôtel de Calcutta, une maison en Lozère ou un appartement à Barcelone, comme si l'auteur cherchait la suite à donner à son roman, qui repart à cent à l'heure dans un sens différent. C'est ainsi que le roman commence comme une uchronie écologiste, tourne au thriller d'espionnage (très peu crédible), consacre quelques brillants chapitres à relater l'histoire du pétrole, comment le liquide noir est devenu la drogue de l'humanité, et comment il transite d'un point du Globe à l'autre via des supertankers ou des pipelines ; avant de finir en utopie écologiste ratée. Au passage, l'auteur explore plusieurs pistes qui permettraient d'inverser la tendance du réchauffement climatique : consensus international, innovation révolutionnaire, écoterrorisme, initiatives privées, tout en montrant à quel point elles sont toutes vaines et vouées à l'échec. Très pessimiste, donc.
Bref, c'est vraiment le roman de la globalisation et de ses effets délétères ; mais malgré toutes ses qualités, j'ai eu l'impression qu'il lui manquait une structure et une intention, à l'image du personnage central, June, qui cherche un sens à sa vie et ne le trouve ni dans l'errance, ni dans la lutte, ni dans l'amitié, l'amour ou la famille.
"Il n'y a pas de remède. Il n'y a pas d'opposition, de bons, de méchants, de camp adverse. Il y a l'homme, son ardeur, sa folie. Il n'y a que nous. Ça suffit."
Actes Sud, 2020. - 368 p.