L'autre moitié de soi - Brit Bennett
"A son entrée dans l'immeuble elle était noire et à sa sortie elle était blanche. C’était leur regard qui l'avait transformée."
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Une telle imposture n'est pas nouvelle en littérature, j'ai pensé à la fois à J'irai cracher sur vos tombes de Vernon Sullivan et à La Tache de Philip Roth. Mais le choix de Stella n'est pas prémédité, c'est plutôt un concours de circonstances. Et avec son histoire, Brit Bennett montre bien que le racisme est dans l'œil de celui qui regarde, et qu'un changement de perspective permet de modifier le rapport à autrui. Plus largement, elle soulève la question de l'identité : qu'est-ce qu'être Noir ? Comment devenir ce que l'on est, et comment trouver sa place dans le monde, une place qui n'est pas forcément celle que la société vous assigne, que ce soit sur le plan de l'origine ethnique, du genre, ou du statut social ? Et à quel prix ?
Alors que l'on suit la vie des deux jumelles en parallèle, on voit que Stella a fait un choix qui va l'obliger à vivre toute sa vie dans le mensonge, et à nier toute une partie de sa vie : son enfance et sa famille. Desiree vit dans l'absence de sa sa sœur, Stella vit dans la disparition d'une part d'elle-même. Elles ont toutes deux commis une transgression : Desiree en épousant un homme très noir, Stella en épousant un homme blanc. Ni l'une, ni l'autre n'est totalement heureuse. Desiree ne se remettra jamais tout à fait de l'absence de sa sœur qu'elle cherche pendant des années ; et Stella doit constamment se contrôler pour éviter de se trahir. Et, bien sûr, leur statut social sera bien différent.
Et l'une comme l'autre inflige ses choix à sa propre fille. Desiree impose à sa fille une vie de rejet pendant toute son enfance, Stella impose à la sienne une impasse sur ses origines. Et j'ai trouvé que c'était avec cette seconde génération que le roman prenait vraiment son ampleur. Jude et Kennedy grandiront sur une blessure, l'une à cause de sa peau, l'autre à cause d'un mensonge. L'une comme l'autre devront à leur tour inventer leur façon d'être au monde.
A travers une formidable et complexe histoire de famille, Brit Bennett dessine quatre portraits de femmes qui illustrent deux générations où le monde a complètement changé mais où les enjeux existentiels sont restés les mêmes.
"On ne se trouvait pas comme ça : une identité, ça se construisait. Il fallait inventer la personne qu'on voulait être."
Titre original : The Vanishing Half
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Karine Lalechère,
Autrement, 2020. - 480 p.
Lu dans le cadre du Mois Américain (Thème : Black lives matter)
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