Betty - Tiffany McDaniel
"Devenir femme, c’est affronter le couteau. C’est apprendre à supporter le tranchant de la lame et les blessures. Apprendre à saigner. Et malgré les cicatrices, faire en sorte de rester belle et d’avoir les genoux assez solides pour passer la serpillière dans la cuisine tous les samedi. Ou bien on se perd, ou bien on se trouve."

Quel magnifique roman ! A l'heure où l'on parle beaucoup d'intersectionnalité, on va voir Betty souffrir d'un double stigmate : elle est une fille dans des années cinquante bien peu tendres envers les femmes, et sa peau est sombre dans un pays où la blancheur a été érigée en vertu cardinale. Elle va subir un racisme terrible de la part des enfants autant que des adultes, puis de sexisme dès qu'elle va atteindre l'age de la puberté. Elle est celle à qui l'on répète sans cesse qu'elle est moche : pas assez blonde, pas assez blanche. Ses années d'école pourraient être un calvaire, si son père n'était pas là pour lui rappeler qu'elle est une personne importante et qu'elle doit être fière de ses racines cherokee.
Et quel père que celui-ci ! Il est l'autre formidable personnage du roman : un père qui semble ne jamais perdre son calme, même quand il se fait agresser par des racistes, même quand il doit réagir face à une épouse très instable, même quand il doit affronter les situations les plus délicates. C'est un homme extrêmement bienveillant, un homme qui cultive la vocation d'être père. Surtout, c'est un homme qui transforme tous les aléas de la vie en histoires, des histoires qui mêlent mythologie et poésie, où la nature a toujours une place prépondérante. Il est celui qui transmet à ses enfants les traditions ancestrales et la fierté d'être ce que l'on est. Et très vite, Betty va se mettre à écrire pour garder les histoires de son père, de ces histoires elle tire sa force, une force qui lui permet d'affronter le plus noir de l'âme humaine.
Il y aura beaucoup de drames dans cette famille, mais aussi de l'amour, de la joie et de la fantaisie. C'est un roman sur le pouvoir des mots et du merveilleux face à la tragédie de la vie humaine. Un gros coup de cœur.
"J'ai compris une chose à ce moment-là : non seulement Papa avait besoin que l'on croie à ses histoires, mais nous avions tous besoin d'y croire aussi. Croire aux étoiles pas encore mûres. Croire que les aigles sont capables de faire des choses extraordinaires. En fait, nous nous raccrochions comme des forcenés à l'espoir que la vie ne se limitait pas à la simple réalité autour de nous."
Titre original : Betty.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par François Happe.
Gallmeister, 2020. - 720 p.