Apeirogon - Colum McCann
"Au-delà du bien et du mal il existe un champ. C'est là que je te retrouverai."
(Rumi, poète persan)
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"Bassam et Rami en vinrent à comprendre qu'ils se serviraient de la force de leur chagrin comme d'un arme."
Ce roman est un objet littéraire étonnant, éclaté en mille et un morceaux, qui s'inspire de l'apeirogon, cette forme géométrique au "nombre dénombrablement infini" de facettes. Les facettes ici sont des chapitres parfois très courts, d'une ou deux phrases, parfois plus longs, parfois composées uniquement d'images, parfois qui se répètent, parfois qui résonnent l'un avec l'autre, entremêlant des anecdotes très privées sur ces deux petites filles et leurs familles, avec un tas d'informations documentaires, faisant appel à la géographie, l'ornithologie, la balistique, la poésie, l'histoire... On y trouve, en vrac, la Shoah et la Nakba, le désert du Néguev et la Mer Morte, des oiseaux et des cours d'eau, François Mitterrand et Yasser Arafat, un ornithologue qui bague des oiseaux et une chercheuse qui enregistre les sons du désert, Borges et John Cage, des grenades et des pierres, des bombes et des balles en caoutchouc, un dirigeable et un funambule, des explorateurs, des chiffres, Belfast et la Maison Blanche, des checkpoints et un mur, des bulletins de notes et des bonbons, une prison et un terrain de jeux palestinien construit par des Israéliens, les Mille et une nuits, et beaucoup d'autres choses.
Ce roman raconte ou essaie de raconter les mille et un aspects d'une tragédie qui est celle de deux familles et de deux peuples. C'est un roman en forme de cercle, qui se déroule en une seule journée, une journée où l'on voit Rami et Bassam quitter leurs domiciles, l'un à Jérusalem, l'autre à Jéricho, avant d'y retourner le soir venu, après s'être retrouvés au Monastère de Cremisan pour faire dialoguer des Israéliens et des Palestinien. Leur organisation, les Combattants de la Paix, espère que le dialogue l'emportera sur la violence et le désir inlassable de vengeance, et apportera enfin la paix dans leurs deux pays si étroitement imbriqués sur un même territoire, qui s'appela longtemps Palestine et s'appelle aujourd'hui Israël.
"La seule vengeance consiste à faire la paix."
Un roman magnifique et bouleversant, à la construction brillante, qui demande au lecteur un peu d'attention car il peut donner l'impression de s’éparpiller en mille directions, alors qu'il a un noyau dur : Rami et Smadar, Bassam et Abir, autour duquel il tourne inlassablement, avec beaucoup d'empathie, de talent, et d'érudition. Cette histoire a le grand mérite de montrer que le dialogue est possible entre parties adverses dès lors que l'on essaie d'écouter l'autre plutôt que de l'affronter systématiquement.
"Découvrir l'humanité de votre ennemi, sa noblesse, est un désastre, parce qu'il n'est plus votre ennemi, il ne peut plus l'être."
Titre original : Apeirogon.
Traduit de l'anglais (Irlande) par Clément Baude.
Belfond, 2020. - 512 p.