Le Sanctuaire - Laurine Roux
"Elle aime dire qu'il a le don de la survie, elle, à peine celui de la vie."

"Armer, viser, tuer : voilà pour quoi je suis programmée. Voilà ce qu'il faudrait faire. Pourtant, quelque chose en moi résiste. Je voudrais garder mes mains le long de mon corps, admirer le tracé de l'oiseau, ce lent carrousel dirigé par d'imperceptibles mouvements de plumes, j'aimerais attendre cet instant où l'aigle va replier ses ailes, crier avant de piquer sur sa proie, pointe de flèche à laquelle aucune cible ne peut échapper."
Roman surprenant que celui-ci, dont je me suis régalée de la plume concise et épurée, et pourtant très évocatrice. Il commence comme un roman survivaliste, où la vie est dominée par la beauté de la nature brute. Mais le vernis idyllique craque très vite ; il y a une faille dans cette famille. Le père se révèle plus dur que nécessaire, il a établi une frontière à son domaine que personne ne peut franchir, sauf lui-même. Autant lui et sa fille cadette sont adaptés à cette vie sauvage, autant la mère et la fille aînée ne cessent de regretter le monde d'avant et son confort. La mère en a fait une litanie, de tout ce qu'elle a perdu. Et pendant qu'elle s'épuise à maintenir en vie ce qui a disparu, Gemma s'est emparée de son univers, avec lucidité et courage, avec son arc et son cœur, et c'est parce qu'elle a les yeux grand ouverts sur ce qui l'entoure qu'elle va tomber amoureuse d'un aigle, et soudain son monde va s'ouvrir.
Un roman âpre et beau, d'une incroyable densité, en forme d'ode à la transgression et d'hymne à la beauté du monde, qui nous rappelle que les liens entre la nature et l'humain, quoique rugueux, sont indissociables.
C'est Nicole qui m'a donné envie.
Les Éditions du Sonneur, 2020. - 147 p.