Floride - Lauren Groff
"Son cœur parvenait à grand-peine à supporter tout ce qu'il ressentait. Soit il se gonflait jusqu'au ciel, soit il se rétrécissait jusqu'à la taille d'une épingle, difficile à dire."

"La lune en réalité rit. Mais elle ne rit pas de nous, pauvres humains solitaires, car nous sommes bien trop petits, et nos vies trop fugaces pour qu'elle remarque seulement notre présence."
Le fil rouge de ces histoires, c'est la nature, une nature luxuriante, encombrante, déliquescente, vénéneuse, "une jungle humide, inextricable, un Eden pour créatures dangereuses", une nature qui broie les humains, ou s'y emploie, en provoquant tempêtes, cyclones, pluies torrentielles ou chaleur accablante, mais aussi, sur un un mode plus discret et inquiétant, de petites dolines d'effondrement dans les jardins, suggérant que tout pourrait bientôt s'effondrer et disparaitre à jamais. Cette nature est le domaine de créatures sauvages, panthères, serpents, crocodiles, ou mâles au regard torve, autant de prédateurs guettant dans l'ombre le moment de vous sauter dessus. Éléments déchaînés et bêtes féroces se font ici métaphores de tout ce qui hante ou menace les inconscients torturés.
"Un jour, tu vas te réveiller et t'apercevoir que l'être que tu préfères est devenu un nuage en forme de personne."
La première nouvelle, dont j'aime beaucoup le titre, "Espaces vides et fantômes", est remarquable, dans la forme et dans le fond, et constitue une bonne synthèse de l'ensemble. Une femme marche seule la nuit dans les rues pourtant peu sûres de sa banlieue pour lutter contre sa colère et son angoisse. Autour d'elle, tout se déglingue, tout souffre, tout est saccagé. La vie a peu à peu (sans que l'on sache exactement pourquoi) abîmée cette femme, et la brutalité de la nature qui l'entoure fait écho à la dureté de la vie : des bébés cygnes sont dévorés par une loutre pendant qu'une très vieille maison s'effondre sur elle-même, et que les religieuses du couvent voisin meurent les unes après les autres, un incendie fait rage, des sans abris hantent les rues, et même la chaleur se fait "féroce". La crise climatique et sa catastrophe annoncée planent dans l'ombre, pendant que les hypermarchés dégueulent de marchandise inutiles et toxiques.
Heureusement, ultime consolation dans ce monde dément qui court à sa perte, il nous reste la beauté : "Après un orage, la lumière dans cette ville sort de la terre comme si le sol irradiait, et la beauté soudaine des stucs, des mousses espagnoles est un véritable coup de poing en plein cœur."
Onze nouvelles, onze petits bijoux. Et, ce qui ne gâte rien, c'est magnifiquement écrit.
Titre original : Florida,
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Carine Chichereau,
L'Olivier, 2019. - 304 p.
Et pour le défi 50 états en 50 romans, ce roman illustre la Floride.
