Le hussard sur le toit - Jean Giono

Publié le par Papillon

"Sois toujours très imprudent, mon petit, c'est la seule façon d'avoir un peu de plaisir à vivre dans notre époque de manufactures."
 

 

Il y avait très longtemps que je n'avais pas relu Giono, et c'est en en discutant avec une amie que j'ai eu envie de revenir à une œuvre foisonnante que l'on réduit trop souvent à Regain et CollineLe hussard sur le toit nous emmène en Provence, aux alentours de 1830, et nous y chevauchons aux côtés du jeune Angelo Pardi qui traverse la région alors que le choléra est en train de s'y répandre à une vitesse folle.
 
"La chaleur pétillait sur les tuiles. Le soleil n'avait plus de corps ; il était frotté comme une craie aveuglante sur tout le ciel ; les collines étaient tellement blanches qu'il n'y avait plus d'horizon."
 
Ce qui frappe dès les premières lignes, c'est la qualité du style, d'une écriture qui semble tout droit sortie du XIXe siècle. Le premier chapitre est un petit bijou dans sa construction, non seulement parce qu'il nous présente le jeune héros qui traverse une Provence où l'on sent littéralement la brûlure du soleil, mais parce que ce fil narratif est très habilement entrelacé avec trois autres, qui montrent de plus en plus clairement que la maladie est apparue, qu'elle est contagieuse et qu'elle progresse à grands pas. Et le second chapitre est éprouvant parce qu'on y voit Angelo plonger la tête la première dans la maladie, ce choléra morbus qui va semer la terreur dans toute la région et en décimer la population. Mais Angelo est jeune, courageux, et la maladie ne lui fait pas peur. En toute circonstance, il se comporte en soldat.
 
"N'ayez pas peur. Vous voyez précisément que moi qui soigne les malades et qui les touche, je ne suis pas malade. Moi qui ai mangé un poulet entier, je ne suis pas malade, et vous qui avez peur et vous méfiez de tout, vous mourrez."
 
De ce personnage, nous ne savons d'abord que très peu de choses. Jeune colonel des Hussards, il a dû fuir le Piémont pour avoir tué en duel un officier autrichien, fils illégitime d'une belle comtesse, carbonaro qui rêve de liberté pour l'Italie, sa vie se dévoile par bribes, au fil des péripéties qu'il affronte. Et c'est un magnifique personnage, fougueux et intrépide, parfois un peu trop impétueux, que j'ai tout de suite beaucoup aimé. Angelo doit retrouver son ami Giuseppe à Manosque. En chemin il rencontre des villages barricadés, des quarantaines, des soldats plus ou moins honnêtes et des paysans devenus bandits. Sa route va aussi croiser celle de la belle Pauline qui cherche elle aussi à fuir la zone infestée pour rentrer à Gap. Ils vont faire route ensemble, à leurs risques et périls. Et si partout ne règnent que mort et désolation, l'auteur ne tombe jamais dans la noirceur, le sordide ou l'horrifique. Il y a une grande élégance dans sa plume, d'autant qu'il n'oublie jamais "la splendeur du monde". Angelo chemine les yeux grand ouverts et porte une extrême attention à la nature et aux paysages. Et malgré les épisodes dramatiques qu'il va traverser, il vivra aussi des moments d'enchantement.
 
"C'était un beau matin de vent du nord. Il entra dans la forêt bleue. Il erra bien la moitié d'une lieue dans le ravissement le plus angélique, écoutant le vent dans les hêtres et se réjouissant de l'incomparable mêlée de lances d'or dont le soleil transperçait le bois."
 
Roman d'aventures, roman d'amour, roman d'apprentissage aussi, parce que les épreuves rencontrées vont pousser Angelo à remettre en cause son propre comportement, Le hussard sur le toit est d'abord un roman allégorique. Le choléra, qui révèle le pire chez la plupart des gens et le meilleur chez Angelo, est la métaphore de tout ce qui provoque la peur, et c'est la peur qui tue plus que la maladie, la peur qui nous éloigne les uns des autres, la peur qui provoque la lâcheté, l'égoïsme, la rapacité. J'ai trouvé ce thème très actuel, si l'on remplace par exemple "cholériques" par "migrants".
 
"Attention : la haine n'est pas le contraire de l'amour ; c'est l'égoïsme qui s'oppose à l'amour. (...) On meurt littéralement d'égoïsme."
 
Un vrai bonheur de lecture. Il faut relire Giono !
 
Folio, 1972 (1e éd. 1951). - 512 p.
 
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B
Comme vous avez raison : il faut relire Giono, sans cesse.
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P
Absolument !
E
Lu il y a quelques années, ton billet me rappelle la découverte de cet auteur. j'avais vu le film mais par bouts, le livre nous fait vraiment entrer dans les villages décimés par la maladie et la peur ...
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P
Je n'ai pas vu le film, mais sa plume est en effet très visuelle et nous fait vivre intensément tout ce qui se passe.
K
Mes lectures de Giono comptent toujours parmi mes plus belles lectures... comme Aifelle, je me promets régulièrement de le lire ou relire, mais le temps passe...
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P
Je me suis promis de faire plus de place aux classiques dorénavant, tant de très bons livres que je n'ai pas lus...
A
Quel beau souvenir de lecture ! C'est un livre que j'ai particulièrement aimé et ton article a réveillé en moi tout le plaisir et le bonheur de cette découverte. Merci !
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P
Tant mieux ! Et tu peux aussi le relire, je suis sûre que tu y prendrais le même plaisir, tant cette plume est belle.
A
Je l'ai lu après avoir vu le film. Je me promets régulièrement de lire ou relire Giono, mais j'ai du mal à lui faire de la place.
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P
Oui, on est toujours submergé par les nouveautés, c'est dommage....