Les porteurs d'eau - Atiq Rahimi

Publié le par Papillon

"La violence qu'on se fait à soi-même pour demeurer fidèle à ceux qu'on aime ne vaut guère mieux qu'une infidélité."
 

 

Le 11 mars 2001 en Afghanistan les Talibans font exploser les deux Bouddhas géants de Bâmiyân. Ce même jour, deux hommes à 5000 km de distance vont voir leur destin basculer. À Paris, Tom s'apprête à quitter sa femme pour rejoindre sa maîtresse à Amsterdam. Vingt ans plus tôt, il a fui l'Afghanistan en guerre. Après son installation à Paris, il a renoncé à sa culture, à sa langue et jusqu'à son nom. Depuis, il vit dans un sentiment permanent de "déjà vu". Sa rencontre avec Nuria l'a soudainement reconnecté à son passé. 
 
"Il se rend compte que ses mots français, empruntés fraîchement aux dictionnaires, n'ont jamais vécu en lui. Ils sont étrangers à sa pensée, à ses sentiments... en exil dans son âme afghane, qu'il aimerait tant travestir en esprit français."
 
Pendant ce temps à Kaboul, Yûsef le porteur d'eau se lève pour accomplir son ouvrage. Objet de moquerie depuis toujours pour n'avoir pas su se trouver une femme, il est soudain devenu important alors que la sécheresse brûle la ville et qu'il est le seul à connaître le secret de la source. Depuis le départ en exil de son frère, il a la charge de sa trop jolie belle-sœur, et lui qui ne connaît rien au désir ne comprend pas le trouble qu'elle lui inspire et qui le déstabilise.  
 
"Si l'humanité existe toujours sur cette terre, ce n'est pas grâce à sa capacité de procréation mais de création."
 
Chacun de ces hommes est le reflet inversé de l' autre : celui qui est parti, celui qui est resté, chacun errant à la recherche d'une femme, l'un à Amsterdam sous la pluie, l'autre dans Kaboul poudré de sécheresse et sous la menace des Talibans, tous deux hantés par des fantômes, l'un entre deux amours, l'autre à la découverte de l'amour. L'un n'a jamais vécu seul, et rêve de manque, l'autre à toujours vécu seul et peine à comprendre ce qui lui manque.
 
"Tu avais fini par croire à l'existence d'un monde parallèle qui aurait reflété comme dans un miroir celui dans lequel tu vivais."
 
Je ne sais pas trop quoi penser de cette double histoire qui commence de façon très réaliste et se transforme peu à peu en quelque chose de beaucoup plus onirique, une sorte de conte, qui revisite les mythes afghans, bouddhistes, hindouistes, juifs. On s'y interroge sur ce qui a le plus de valeur : l'humain ou l'art ? On y questionne aussi la notion d'amour : illusion ou réalité ? On s'y fracasse sur la douleur de l'exil : la vie entre-deux, deux pays, deux cultures, deux langues. Et il faut un moment pour comprendre ce qui relie ces deux hommes aux deux statues géantes de Bâmiyân, debout et bientôt par terre.
 
"Le gouffre est là, dans le blanc entre tes mots et ta pensée, dans ce chemin que parcourent les mots entre ton esprit et ta main; tout au long de cette distance entre Kaboul, Paris et Amsterdam où flotte ton corps de proscrit."
 
C'est une histoire à la fois simple et d'une grande densité, qui contient peut-être trop de thèmes, trop rapidement évoqués. Mais la plume est belle, simple et poétique, un peu philosophique aussi, ce qui donne au roman un côté un peu ésotérique, où le lecteur doit sans doute accepter de se laisser bercer par le rêve, sans chercher à tout comprendre. 
 
P.O.L., 2019. - 288 p.
 
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K
Je suis curieuse quand même... mais si je le lis, va falloir que je mette mon cerveau à off et que je me laisse porter.
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B
J'avais moi aussi beaucoup aimé Syngue Sabour... Mais pour celui-ci, du coup, j'hésite...
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P
Il s'éparpille un peu dans celui-ci, je trouve...
A
Je suis comme toi, j'avais beaucoup aimé Singue Sabour et j'avais l'intention de découvrir ce nouveau roman. Je le lirai, très certainement, mais tes bémols que je pourrais bien partager à la lecture, me disent que ce n'est pas la peine que je me précipite.
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P
Mais je serai ravie d'avoir ton avis.
L
un avis mitigé sur un livre qui semble te séduire par son écriture.
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P
Ça reste une lecture plaisante.
C
Tu n'es pas le premier avis mitigé sur ce roman.A voir ...
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P
Disons que je suis restée un peu sur ma faim...
D
On te sent mitigée, quand même... C'était ton premier livre de cet auteur ? Pour ma part, je ne l'ai jamais lu...
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P
J'avais beaucoup aimé son premier roman Singué Sabour qui lui a valu le prix Goncourt en 2008. Je suis un peu plus réservée sur celui-ci, même si ça resté très agréable à lire.
K
Il est dans ma pile à lire, grâce à Mr K qui a eu envie de le lire. (il l'a trouvé pas mal, et facile à lire, difficile d'en savoir plus ;-) )
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P
Oui, ça se lit très bien. Mais il pose plein de questions sans donner de réponses.
K
Bon, je sors de l'Afghanistan dans mes lectures, je vais poser pauser un peu.
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P
Mais on voyage dans les mêmes coins, dis donc !
A
Je suis allée à une rencontre avec l'auteur dans ma librairie et je n'ai pas réussi à comprendre de quoi parlait exactement son livre. A lire ton billet, c'est peut-être l'excès de thèmes qui est difficile à cerner en effet.
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P
Il y a plein de sujets intéressants mais tout ça se mélange un peu trop...