Le diable en personne - Peter Farris
"Il est souvent incompatible de faire les choses bien et de survivre pour pouvoir en être fier."

Tout le monde sait, dans le Trickum County, qu'il ne faut pas chercher de noises au vieux Leonard Moye, l'ancien bootlegger qui vit dans une cabane au fond des bois avec pour seule compagnie un mannequin de cire et une collection de flingues. Mais Willie et Javon, les deux sbires du truand Mexico ne pouvaient pas savoir, quand ils ont choisi un coin du Sud de la Géorgie pour y régler un épineux problème, qu'ils se trouvaient sur les terres du vieux Leonard. C'est lui que l'on qualifie de diable, mais le diable n'est pas toujours celui que l'on croit.
"Leonard appartenait à une époque qui produisait des hommes débrouillards, nés avec ce bon sens pour lequel beaucoup de gens de la ville étaient prêts à payer de nos jours."
C'est lui qui va sauver la mise à Maya, que les deux truands voulaient assassiner. Pourquoi ? Elle en sait trop. Vendue à 12 ans par sa mère, elle s'est retrouvée dans le réseau de prostitution du cruel Mexico. Elle y est très vite devenue la jolie favorite de M. le Maire, personnage le plus important d'une grande ville qui n'est jamais nommée, corrompu et rusé, trempant dans toutes les sales combines, et prêt a tout pour garder sa position de pouvoir, source d'enrichissement. C'est comme ça que Maya a appris des trucs qu'elle ne devrait pas savoir.
"Les secrets, c'est la seule chose qui fait tenir ce monde."
Ce roman très noir montre une Amérique qui n'est pas belle à voir, et distille tous les codes du polar : des truands plus vénaux que futés, un caïd prêt à tout pour sauver son empire, la collusion de la politique et de la mafia, sous l’œil bienveillant d'une police qui touche sa commission pour ne rien voir et ne rien dire. On pourrait penser que dans ces conditions Maya n'a aucune chance, c'est sans compter sur ce vieux Leonard, personnage baroque et improbable qui va prendre la jeune fille sous son aile et se faire son preux chevalier, quitte à se retrouver au cœur d'une guerre sans merci. Cette relation d'apprivoisement entre le vieux ronchon misanthrope et la jeune fille qui ne connait pas grand-chose d'autre que la soumission, n'est pas le moindre des charmes de ce roman. L'auteur s'y entend à construire des personnages tantôt insolites et tantôt réalistes, à alterner les scènes grandioses et les tableaux intimistes, et à imaginer une course poursuite qui va de la grande ville faisandée à la campagne profonde, où la profusion de nature et l'amitié font un contrepoint sensible et apaisant à la violence des hommes et à leur avidité. Et si l'auteur est bien meilleur dans la noirceur que dans la tendresse où il flirte parfois avec le sentimentalisme, l'ensemble est quand même fichtrement bien ficelé et diablement efficace.
Ghost in the fields,
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anatole Pons,
Galmeister, coll. Neo Noire, 2017. - 266 p.
Et ce roman illustre la Géorgie pour le défi 50 états en 50 romans.
