Me voici - Jonathan Safran Foer

Publié le par Papillon

"Le thème principal, c'est de savoir pour qui nous sommes pleinement présents."
 
 
J'ai dévoré ce bouquin pendant un petit séjour à La Rochelle, et ça tombait bien parce que c'est un pavé, mais j'avais du temps, je traînais ma liseuse partout et Jonathan Safran Foer aussi [on ne dira jamais assez comme il est bon de lire un gros roman en écoutant le bruit des vagues]. Et donc, pendant une semaine j'ai vécu, mangé, dormi, soupiré, bougonné, pleuré et ri avec la famille Bloch et, disons le tout de suite, il n'est pas possible de ne pas aimer cette famille haute en couleurs (et en douleurs) : les parents, les enfants, les grands-parents et jusqu'aux cousins venus d’Israël, sans oublier le chien Argos. Et pourtant il n'est pas si facile de parler de ce formidable roman, tant il est dense et touffu.
 
"Le désir d'extraire quelques gouttes supplémentaires de bonheur détruisait presque toujours le bonheur qu'on avait la chance d'avoir, bien qu'on soit trop bête pour l'admettre."
 
Il y a dans cette histoire à la fois l'effondrement d'un mariage, un adolescent qui freine des deux pieds à l'idée de faire sa bar-mitsva et questionne sa relation au judaïsme, un arrière-grand-père pressé de mourir (il a survécu à la Shoah, traversé l'Atlantique, bossé dur pour oublier et pour élever sa famille, il est fatigué), et tout cela se cristallise pendant les quelques jours qui précèdent la bar-mitsva. Sam, l'aîné des trois fils de la famille Bloch, est accusé d'avoir écrit et laissé traîner un texte couvert d'insultes racistes, ce qu'il nie. Son père le croit et le défend, alors que sa mère pense qu'il mérite sa punition. Cette faille entre les époux va permettre de dévoiler le fossé qui les sépare. 
 
"Le mariage est le contraire du suicide, mais lui ressemble en tant que preuve ultime de volonté."
 
Ce n'est pas qu'il n'y a plus d'amour dans ce couple, c'est qu'il n'y a plus de bonheur. Accaparés par leurs contraintes familiales, professionnelles et domestiques, Jacob et Julia ont "désappris à se connaître". Eux qui avaient juré au début de leur amour de tout se dire [ce qui n'est jamais une bonne idée], cultivent les secrets : elle, architecte d'intérieur, imagine des plans de maisons à une seule chambre ; lui, scénariste pour la télé, échange des textos érotiques avec une collègue. La découverte du téléphone secret de Jacob par Julia va mettre le feu aux poudres.
 
"Je ne leur reproche pas d'être ce qu'ils sont. Mais je leur reproche de me reprocher d'être ce que je suis."
 
La crise de leur mariage, annonce de l'éclatement de la famille, va être le révélateur de leur position ambiguë vis-à-vis de la religion et de l'identité juives. Cette crise familiale se double d'une crise géopolitique puisque, en arrière-plan, Israël est victime d'un séisme et menacé de destruction. Cet effondrement imaginaire de l'état juif sert de miroir et de métaphore à ce qui se joue dans la famille Bloch : un grand questionnement sur ce que cela signifie d'être juif américain aujourd'hui, une question qui résonne profondément dans l'âme du lecteur, même non juif et non américain.
 
"Les Juifs américains qui sont prêts à tout, en dehors de la pratique du judaïsme, pour instiller le sentiment de l'identité juive à leurs enfants."
 
Ce qui pourrait être un énième roman sur le divorce est bien plus que ça : une réflexion sur la famille, le mariage et l'identité, sur la mémoire, la tradition et la transmission, sur ce qui nous forge et nous modèle, sur tout ce à quoi il faut renoncer pour grandir, puis pour vieillir. Et comme la famille Bloch est une famille où l'on raisonne beaucoup, on y discute aussi beaucoup, et les dialogues sont aussi brillants que drôles. Car toute l'histoire nous est contée avec une bonne dose de dérision, alternant les points de vue et entremêlant avec bonheur le burlesque et le tragique, la hargne et la tendresse, le passé et le futur, le profane et le sacré, le réel et le virtuel (Sam passe son temps dans un monde virtuel baptisé Other Life), le réel et la fiction (Jacob écrit en cachette un scénario sur sa famille). Le tout n'est pas exempt de longueurs et semble parfois partir un peu dans tous les sens, mais c'est un labyrinthe si brillant et si profond qu'on s'y égare avec le plus grand bonheur.
 
"Ne cherchez pas et n'espérez pas de miracles. Il n'y a pas de miracles. Il n'y en a plus. Et il n'y a pas de remèdes pour les blessures qui font le plus mal."
 
Elles ont aimé aussi : Cuné, Keisha, Éva.
 
Here I am, traduit de l’anglais (États-Unis) par Stéphane Roques.
Editions de l’Olivier, 2017. - 752 p.
 
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K
J'aime l'auteur. Je ne connais pas du tout celui-là. Pourquoi pas!
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P
C'est son dernier et il est très bon.
L
quel plaisir de lire ce billet, je garde ce titre pour un temps long sans les sollicitations de mon club
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P
Un bouquin qui ferait un parfait "pavé de l'été" !
A
En apparence il a tout pour me plaire, mais j'ai tellement été échaudée par le style de l'auteur avec un autre roman, que je ne suis pas prête à me relancer.
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P
Je crois qu'avec cet auteur, ça passe ou ça casse.
L
J'ai abandonné, tout en reconnaissant que c'était assez brillant par moments, mais il m'a lassée...
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P
Il a genre particulier, je comprends que l'on ne puisse pas adhérer.
K
Je pense que je le lirai un jour ou l'autre, mais en attendant le moment idéal (pas les fêtes de fin d'année, par exemple)... ;-)
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P
Ah oui, il vaut mieux se prévoir du temps, pour se laisser immerger dans cette famille.
K
Il faut accepter d'aller là où va l'auteur, mais franchement, ce n'est pas de la soupe tiède et ça fait du bien!
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P
Entièrement d'accord !