L'empire de l'or rouge - Jean-Baptiste Malet

Publié le par Papillon

"Tel est le capitalisme : en apparence, il porte la promesse de "diversité", de "concurrence", de "liberté" pour le consommateur, mais dans les faits, il ne sert que des intérêts particuliers."
 

 

Existe-t-il quelque chose de plus banal que la ronde et rouge tomate qui trône sur les étals des marchés six mois de l'année ? Tout aussi banal, et presque devenu invisible, est le concentré de tomates qui se retrouve dans un grand nombre de nos plats favoris, de la pizza au ketchup en passant par toutes les sauces industrielles. Mais nous sommes-nous déjà demandé comment était fabriqué cet aliment ? C'est la question que s'est posé l'auteur de cette passionnante enquête autour d'un aliment industriel qui a la particularité d'être consommé de façon quasi universelle. 
 
On y découvre que si c'est un français qui a inventé la conserve, c'est un anglais qui l'a perfectionnée en remplaçant le verre par une boite en aluminium, que ce sont les guerres successives qui ont fait le succès des boites de conserves, faciles à stocker et à transporter en grandes quantités, que ce sont les italiens qui inventé la conserve de tomates, dont ils furent longtemps les premiers exportateurs, que l'immigration massive des italiens vers l'Amérique n'est pas étrangères à la grande consommation de concentré de tomates dans ce pays, un goût que la société Heinz, le célèbre fabricant de ketchup, a utilisé pour devenir à la fois un pionnier et un géant de l'agro-industrie, que la tomate de conserve est "un fruit artificiellement créé par des généticiens, dont les caractéristiques ont été pensées pour être parfaitement adaptées à sa transformation industrielle", que les chinois se sont lancés à leur tour dans la production et l'exportation de tomates à grande échelle et à bas coût pour conquérir le monde avec une denrée universelle, tout en colonisant la région autonome du Xinjiang. 
 
Jean-Baptiste Malet a mené l'enquête pendant deux ans auprès de tous les acteurs de la filière, producteurs et traders, transformateurs et distributeurs, une enquête qui nous entraîne sur quatre continents, de la Chine à la Californie et de l'Italie au Ghana. Son bouquin se lit comme un roman à suspense et retrace l'histoire de l'agro-industrie et de toutes ses dérives. Mais cette enquête présente aussi une version désespérante de la mondialisation où l'objectif principal de tous les intervenants semble être de maximiser les profits : produit formaté pour l'industrie, production optimisée à coup de pesticides, cueillette confiée à des travailleurs pauvres et sous-payés, transformation automatisée au maximum, produit final dilué et bourré d'additifs, tout ça pour produire un concentré le moins cher possible, dont le goût n'est plus un critère, et augmenter les marges après transformation. Et chaque fois que les Etats établissent des règles douanières, les industriels s'empressent de les contourner à leur plus grand profit. C'est ainsi que le concentré chinois est dilué et packagé en Italie d'où il ressort avec une belle étiquette "made in Italy". Tout cela est désolant, surtout quand on apprend que le concentré chinois, dont la qualité est strictement proportionnelle à son prix (très bas) a ruiné non seulement les conserveries européennes mais aussi les petits producteurs africains, qui en sont réduits à émigrer. Vers où ? Vers l'Italie où ils sont exploités par une agromafia pour cueillir des tomates, victimes "d'une guerre économique faisant rage sur toute la surface du globe, propre à la nature capitaliste de l'économie mondiale."
 
Plus on descend dans les bas-fonds des usines chinoises et des champs de tomates italiens, et plus on a envie de vomir. Mais cet essai nous oblige à nous interroger sur tous ces produits à bas prix bas que nous achetons sans nous poser de questions, sans nous demander comment ni où ils sont fabriqués, et qui sont pourtant en train de détruire nos emplois, notre santé et celle de la planète, dans le seul but d'enrichir une poignée d'industriels cupides et sans états d'âme.
 
 
Fayard, 2017. - 286 p.
 
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D
on en finit pas de lire des horreurs sur les scandales alimentaires, les laits pour nourrissons contaminés, les poules élevées dans des conditions honteuses sans parler de la viande ... un scandale de plus c'est bien que certains jouent les lanceurs d'alerte<br /> je ne connaissais pas le détail de cette affaire mais ayant un ami qui a eu partie liée avec l'industrie alimentaire il m'en a raconté de belles au point qu'à un moment je croyais qu'il fabulait ...et bien pas du tout
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P
Je pense aussi que les consommateurs doivent être de plus en plus vigilants dans leurs choix : si nous refusons de consommer, ils seront obligés de modifier leurs pratiques.
A
Ce livre est pour moi un regret. J'ai commencé à le lire et me suis arrêtée, aux 3/4, tellement comme vous, j'étais dégoûtée par cette "cuisine" si peu ragoutante, cette exploitation honteuse des hommes et des femmes, la morgue de ceux qui organisent le système....C'est à désespérer. Merci pour votre commentaire très juste.
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P
Oui, je comprends, la dernière partie est terrible. Ce que l'on fait subir aux Africains est un scandale. mais il est impératif d'être informé.
B
J'ai entendu une interview de l'auteur. Ce livre doit vraiment être passionnant et je me réjouis de ne jamais acheter la moindre boîte de tomates en conserve depuis des années.
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P
En fait je crois qu'il faut arrêter toute l'alimentation industrielle, parce que tout ce que l'on apprend dans ce livre doit s'appliquer à un tas d'autres produits...
A
Je n'achète rien en conserve, je n'achète pas non plus à bas prix, je ne vais presque pas au super-marché, je ne fréquente que les marchés et les commerçants de quartier .... voilà, voilà, après cette belle déclaration, je me sens quand même très concernée, parce qu'on a beau faire attention, on sait qu'on se fait avoir tôt ou tard là où on ne se méfie pas assez. La complicité des politiques me rend dingue (et l'indifférence massive de la population à ce qu'on lui fait avaler).
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P
Tu as bien raison ! J'esaie d'en faire autant. Mais ça ne concerne pas que l'alimentation, ça concerne tout ce que nous consommons. Et si on laisse faire, on n'aura bientôt plus le choix. ..