Ex Libris: The New York Public Library
"Les bibliothèques sont les piliers de notre démocratie." (Toni Morrison)

C'est rare qu'une bibliothèque soit le sujet principal d'un film, raison de plus pour aller voir le formidable documentaire que Frederick Wiseman consacre à la célèbre New York Public Library (NYPL). Tout le monde connaît l'énorme bâtiment néoclassique qui trône, avec ses deux lions de pierre, sur la 5e avenue, entre les 40e et 42e rues, mais ce bâtiment n'est que la vitrine d'une institution qui, avec ses 53 millions de documents, est l'une des plus grosses bibliothèques du monde et possède des dizaines d'annexes réparties dans toute la ville.
Qui dit bibliothèque dit livres, et pourtant on en verra assez peu dans ce documentaire. En revanche, on y voit beaucoup de gens, et on comprend vite que le public est au cœur du programme de la bibliothèque, comme le résume l'architecte chargée de la rénovation : "une bibliothèque n'est pas un lieu de stockage pour les livres, c'est un lieu pour les gens qui veulent acquérir un savoir." Et cette bibliothèque est particulièrement consciente de son rôle dans la diffusion de la connaissance et de l'information, notamment auprès des jeunes, depuis les ateliers pour les tout-petits, le soutien scolaire pour les plus grands jusqu'aux cours de maths pour les ados. Le réalisateur nous balade dans les différentes annexes (avec une attirance particulière pour les quartiers populaires, semble-t-il) pour nous faire découvrir les multiples activités que la NYPL organise pour ses usagers et qui vont bien au-delà du prêt des livres et de la promotion de la lecture : cours de braille ou de langage des signes, ateliers de découverte de l'informatique et d'internet, cours d'anglais pour immigrants. On peut aussi bien y assister à des concerts et à des conférences sur l’histoire du capitalisme et de l'esclavage, qu'à des ateliers d'aide aux handicapés ou des carrefours d'information sur les emplois publics.

Ce qui est étonnant dans ce film, c'est qu'il n'y a aucun commentaire, aucune voix off, uniquement les dialogues de ceux qui apparaissent à l'écran. Pour nous indiquer où nous sommes, le réalisateur filme les noms de rues ou le fronton des bâtiments. L'attention que la NYPL accorde à son public se traduit en images par une grande attention portée aux personnes et une multiplication de gros plans sur les visages de ces gens de tous âges et de toutes origines qui fréquentent la bibliothèque, et de tous ceux qui les assistent dans leurs différentes demandes. On visite assez peu les coulisses de la bibliothèque, mais on assiste aux discussions stratégiques et budgétaires de la direction. Contrairement à ce que son nom laisse supposer la bibliothèque de New York n'est pas totalement publique, puisque son financement dépend à 50% de fonds privés. Elle doit sans cesse trouver de généreux donateurs et gérer le plus habilement possible le budget dont elle dispose, en faisant parfois des arbitrages délicats puisqu'elle est à la fois bibliothèque de prêt, de recherche et patrimoniale : papier on numérique, livres de recherche ou best-sellers ? Elle doit pouvoir répondre aux besoins de ses différents publics, tout en s'adaptant aux innovations technologiques. Au passage on apprend qu'un tiers des new-yorkais n'ont pas accès à internet à domicile et que la NYPL développe tout un programme de prêt de modems pour réduire ce qu'elle appelle l'exclusion digitale et qui lui parait l'un des grands enjeux de XXIe siècle.
Le film dure plus de trois heures et le réalisateur aurait pu nous épargner quelques longueurs, notamment dans les longs extraits des conférences que la NYPL propose à ses lecteurs, mais on ne lui en veut pas, tant il nous envoute en nous montrant comment une bibliothèque publique peut devenir, pour peu que l'on s'en donne les moyens, un véritable lieu de lien social qui, par le partage de tous les savoirs et l'incitation à la créativité, devient un outil de promotion de l'égalité des chances. Et il donne, à travers les acteurs enthousiastes de ce lieu de connaissances, l'image d'une Amérique humaniste et altruiste qui est à cent lieues de ce que l'on croit savoir de ce pays. Un film fascinant sur une bibliothèque de rêve.
Documentaire de Frederick Wiseman, 2017. - 3h17.