Au jour le jour - Paul Vacca

Publié le par Papillon

"Tu ne dois pas te mettre dans des états pareils. Ce n'est qu'un récit, ce n'est pas la réalité."
 
 
On commence souvent à imaginer une fiction pour plier le réel à ses désirs, ça s'appelle un mensonge. Et il faut bien reconnaître que Marie-Joseph Sue montre très tôt de belles dispositions pour l'affabulation et l'imposture, généralement dans le but d'obtenir ce qu'il désire : le cœur d'une jolie femme ou de bonnes notes à ses examens. Dans le Paris des années 1840 et sous le règne aussi bourgeois qu'ennuyeux de Louis-Philippe, le jeune Sue est l'héritier d'une longue lignée de chirurgiens et son père compte sur lui pour reprendre le flambeau, sauf que rien n'intéresse moins le jeune homme que le sang et les plaies. Il se rebaptise Eugène et entend mener une vie de plaisirs.
 
Il n'est pas très sympathique cet Eugène Sue au départ, dandy excentrique, insouciant et inconséquent, qui se prétend socialiste par "haine du bourgeois" tout en fantasmant sur les salons raffinés du faubourg Saint-Germain, qui ne vit que pour faire la fête sans pour autant cracher sur la confortable rente que lui verse son très bourgeois de père. Jusqu'au jour où, pour séduire une belle actrice, il écrit une pièce de théâtre : une vocation est née.
 
"Ne venait-il pas de faire l'expérience de la toute-puissance de la littérature ? Comment avec quelques feuilles de papier, un peu d'encre, un agencement plus ou moins judicieux de voyelles et de consonnes, il lui avait été possible de faire céder une porte scrupuleusement verrouillée."
 
Eugène Sue devient feuilletoniste, écrivant pour les journaux de ces histoires dont on ne sait jamais en les commençant où elles vont nous mener. Et avec la passion de l'écriture au jour le jour, ce jeune dandy prend de l'épaisseur et va peu à peu découvrir un monde inconnu. Il entrevoit le pouvoir de la fiction, mais aussi les bas-fonds de Paris, qui vont devenir le théâtre de son roman le plus célèbre, Les Mystères de Paris. Lui qui n'aime que le luxe et le raffinement, va se plonger dans un autre univers et apprendre à l'aimer. Il va devenir un vrai défenseur de la cause du peuple, ouvrant les yeux du monde sur sa sombre réalité.
 
En faisant d'Eugène Sue un personnage de roman, Paul Vacca fait revivre le Paris d'avant Haussmann, ou plutôt les trois Paris : bourgeois, aristocrate et populaire, le Paris des cocottes et des grisettes, des bars du Palais-royal, des journaux vendus à la criée. Surtout, il nous restitue la grande époque des feuilletons (à l'heure où tout le monde se pâme devant les séries télé), où l'écrivain vit dans l'urgence de livrer chaque jour son feuillet et le lecteur dans l'attente de retrouver chaque jour ses personnages préférés.
 
Et Paul Vacca joue lui-même sur tous les codes du feuilleton, du roman populaire, du mélodrame et de la romance. On rit, on pleure, on frémit et on grince des dents, dans ce roman virevoltant qui galope comme la calèche de ce brave Eugène. J'adore particulièrement quand la fiction et la réalité se mélangent, parce que, bien sûr, Eugène va finir par se prendre pour l'un de ses personnages et s’emmêler un peu les pinceaux dans ses deux vies. Et Paul Vacca prend un malin plaisir à brouiller les cartes entre la vie et l'oeuvre de son héros.
 
Ce roman, qui revisite la vie d'Eugène Sue et rend hommage à son oeuvre, est un éloge à tous les pouvoirs de la fiction et un feu d'artifice romanesque, qui donne envie de (re)découvrir Les Mystères de Paris. Et je ne résiste pas au plaisir de vous livrer un extrait du "bêtisier des feuilletonistes" qui me fait hurler de rire :
 
"En proie à un affolement complet, il sentait ses quatre membres s'entrechoquer dans son cerveau." Ou : "Il surgit, un sabre dans chaque main, un pistolet dans l'autre."
 
Un grand merci à Delphine, pour avoir mis ce roman entre mes mains. 
 
Belfond, 2017. - 384 p.
 
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U
Je trouve l'idée de l'auteur très bonne ; même si Eugène Sue est un auteur connu, ce n'est pas vers lui que la majorité se tournerait si on demandait d'écrire sur un auteur.
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P
Et en plus, ça lui permet d'évoquer l'époque des feuilletons où les écrivains étaient presque des "stars" !
S
J'avais lu et aimé le premier titre de l'auteur. Je note que celui-ci est à lire également.
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P
J'ai vraiment passé un bon moment !
K
Je l'ai repéré aussi grâce à Delphine, j'ai beaucoup aimé Les mystères de Paris, mais ne sais rien de leur auteur...
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P
L'auteur s'amuse à faire revivre le temps des feuilletons en prenant Eugène Sue comme prétexte, et on s'amuse beaucoup.
J
Le sujet me plait énormément et j'ai déjà fréquenté l'auteur une fois avec plaisir, autant te dire que je suis plus que tenté !
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P
Et tu ne seras pas déçu, je pense, c'est un petit délice ce roman.
G
Je te redis ce que je t'ai marqué sur Twitter ton billet me tente beaucoup, à la réserve près que j'ai toujours du mal avec les bio à mi-chemin entre la fiction et le réel, j'ai toujours le sentiment qu'on trahit un peu la personne qui a existé, mais ton enthousiasme plus celui de Delphine devraient me convaincre quand même.
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P
Ce qui est très original ici, c'est que ce n'est pas du tout une biographie même romancée, mais un roman dont le héros s"appelle Eugène Sue, écrit des feuilletons, et rencontre ses personnages. Je ne veux pas en dire plus pour ne pas déflorer l'essentiel, mais c'est très bien ficelé et traité avec beaucoup de légèreté. C'est vraiment très réussi.
A
Ah les mystères de Paris ! J'ai adoré cette lecture (et à 15 ans, j'ai vu Jean Marais à Rouen ; plusieurs scènes du film y était tournées). Je ne sais quasiment rien d'Eugène Sue par contre, donc ce livre pourrait être le bienvenu.
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P
Waow ! Jean Marais : toute ma jeunesse ! Je n'ai pas lu Les mystères de Paris mais je me souviens du feuilleton, et j'ai très envie de lire le roman du coup (un pavé pour l'été !)
N
Hé hé... bienvenue au club ! Chouette bouquin, chouette moment en compagnie d'Eugène :-)<br /> Et oui, le bêtisier des feuilletonistes est à mourir de rire !
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P
Et cette ambiance XIXe, j'ai vraiment aimé, ça court dans tous les sens, ça joue sur tous les modes, j'ai vraiment aimé.
D
Ah ! Je suis super contente que tu l'aies lu... et apprécié ! En même temps, vu le traitement romanesque, j'étais sûre que c'était un livre pour toi ! :-))
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P
Oui, on voit que tu commences à bien me connaître ! Ce mélange réel fiction m'a carrément emballée, sans compter que c'est délicieusement raconté tout ça : j'y étais, je riais, je pleurais, un vrai régal !