Farallon Islands - Abby Geni

Publié le par Papillon

" Peut-être n'existe-t-il que deux catégories de personnes au monde - celles qui prennent et celles qui observent - les pilleurs  et les protecteurs - les chasseurs d’œufs et les gardiens de la lumière."
 
 
Il existe, au large de San Francisco, un archipel sauvage et inhabité qui sert de refuge aux oiseaux et aux mammifères marins : les îles Farallon. Le jour où elle tombe sur des photos de cet endroit, Miranda est si fascinée qu'elle entreprend toute une série de démarches pour pouvoir y séjourner. On n'y trouve qu'un phare et une station d'étude de la vie marine où résident à long terme une poignée de biologistes un brin asociaux car complètement impliqués dans leur travail. Miranda, elle, est photographe de nature. Elle a bourlingué aux quatre coins du monde, du Groenland à l'Australie et de la jungle au désert. Rien ne lui fait peur, et elle comprend vite qu'elle débarque en milieu hostile : des requins rôdent au large, des cormorans guettent, le sol en granit s'effrite sous les pas et des souris ont colonisé tous les espaces souterrains. Mais il se pourrait bien que le danger ne vienne pas de l'extérieur mais de l'intérieur, de cette bicoque exiguë et moisie où six biologistes s'entassent dans une promiscuité pesante et étouffante. 
 
" Se souvenir c'est réécrire. Photographier, c'est substituer. Les seuls souvenirs fiables, j'imagine, sont ceux qui ont été oubliés. Ils sont les chambres noires de l'esprit. Fermées, intactes, non corrompues."
 
Abby Geni met en place un étonnant huis clos, qui se joue au grand air et en terrain miné. Miranda est accueillie avec une indifférence teintée de condescendance par cette micro-société obsessionnellement tournée vers l'observation de la nature, mais elle s'en moque : elle est là pour photographier, et après quelques jours d'adaptation au milieu, elle tombe en amour pour cette contrée sauvage. Les habitants de cette île battue par les vents et par les marées passent leur temps dehors quelle que soit la météo, à observer qui les baleines, qui les phoques et qui les requins, en fonction des migrations saisonnières. Personne ne semble s'occuper de personne et pourtant tout le monde se surveille. Le danger omniprésent, Miranda l'éprouve dès sa première sortie pour photographier, et il ne cesse par la suite d'occuper un petit coin de son esprit. Il y a une tension permanente entre les membres de ce petit groupe, qui se cristallise dans les regards et les non dit ou, plus étonnamment, dans la présence d'un poulpe en captivité qui semble avoir pour rôle de s'exprimer en lieu et place des humains.
 
" On croit qu'on se comprend. En tant qu'espèce je veux dire. Mais comment pourrait-on savoir ce qui se passe dans l'esprit de quelqu'un d'autre ? Comment savoir pour de bon ?"
 
Cette histoire, aux allures de thriller maritime, mélange de ravissement et d'effroi, combine une aventure scientifique, avec de très belles pages consacrées aux mœurs des animaux et d'autres à ce que représente l'acte de photographier, et une aventure humaine, avec les inévitables liens de complicité ou d’animosité qui se tissent entre les protagonistes, et que la promiscuité exacerbe. On comprend que n'importe quoi peut survenir à n'importe quel moment, et le lecteur est constamment sur le fil de l'attente du pire (il ne sera pas déçu). En même temps, se révèle à travers cette expérience une aventure très intime pour Miranda. Car elle nous raconte son histoire sous la forme d'une série de lettres à sa mère disparue depuis vingt ans et dont elle n'a jamais pu faire le deuil, un deuil et une absence qui pèsent sur tout ce qu'elle entreprend. Elle découvrira au fil des semaines qu'elle n'a peut-être pas débarqué sur ces îles complètement au hasard, et que quelque chose doit s'accomplir pour qu'elle puisse reprendre le cours normal de sa vie.
 
" L’archipel était la réponse à une question dont j'ignorais que je la posais. C'était le foyer que je n'avais pas connu et que je cherchais depuis ce temps."
 
Un premier roman rude et glacé, à l'atmosphère de chaos et de vacarme, de brouillards et de vents, qui se jette à la face du lecteur comme une grosse vague d'eau salée : ébouriffant.
 
C'est Cuné qui m'a donné envie
 
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy.
Actes Sud, 2017. - 382 p.
 
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K
Coup de coeur d'un libraire lors d'un séjour en Bretagne . Je le conserve pour un lecture au coin du feu
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P
Je suis contente que les libraires mettent en avant ce roman, il le mérite !
A
Coup de cœur de ma libraire, alors j'ai craqué ! Lecture à venir bientôt.
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P
J'espère que tu aimeras cette atmosphère d'île perdue.
C
Je note !!!
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P
Et tu as bien raison !
J
Belle trouvaille ! Tout à fait le type d'environnement et d'ambiance qui pourrait me séduire.
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P
Tant mieux! Laisse-toi tenter.
U
Les premières lignes fichent déjà la trouille. En voilà un qui me plaira.
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P
Si tu aimes les atmosphères un peu angoissantes, tu devrais aimer.
N
Ca me fait bien envie... je vais le noter pour dès que j'aurai un peu de répit dans ma pile.
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P
C'est une lecture rafraîchissante pour les temps de canicule!
D
je l'ai lu avec un certain intérêt mais quelque chose me gêne dans ce roman, non pas la construction très intelligente mais la crédibilité des comportements, c'est un rien "trop" à mon goût
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P
Le seul épisode qui m'a paru excessif, c'est l'attaque des goélands sur Mick, elle aurait pu s'en passer, mais ça dramatise toute l'aventure et oblige l'héroïne à quitter l'île.
A
Après un roman de Sandrine Collette, je peux affronter tout ce qu'on veut ... je la sens bien cette histoire.
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P
Et c'est beaucoup moins noir que Collette. Et les embruns, tu devrais aimer ;-)
K
Repéré dans Page des libraires, je crois, j'attendais un avis supplémentaire ! Je le sens tout à fait à mon goût, ce roman !
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P
Oui, à tester !
K
Hum, tout me parle la dedans, sauf le côté 'à faire peur'...
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P
Bon, c'est pas Stephen King non plus :-) C'est davantage un sentiment de danger que de la grosse terreur, et je préfère en ce qui me concerne.