La vie rêvée de Virginia Fly - Angela Huth
"Vous savez ce que c'est, le réel. Il détruit toujours nos illusions avec une extrême cruauté. Une cruauté dévastatrice."
Virginia Fly est une rêveuse. De nuit comme de jour, elle rêve de caresses langoureuses et qu'un fougueux moustachu se glisse dans son lit pour l'envoyer au septième ciel. Il faut dire que Virginia, à trente et un ans, est toujours non seulement célibataire mais vierge, un état suffisamment étonnant dans ces années 70 totalement dévergondées pour que la jeune femme fasse l'objet d'un reportage télévisé. Elle espère que cet événement inattendu mettra un peu de piquant (et, qui sait ?, attirera le prince charmant) dans une vie qui en manque singulièrement. Virginia est une gentille fille un peu terne qui mène une vie monotone d'enseignante dans une banlieue sans charme, entre une mère intrusive et un père distrait. Il n'y a rien de plus excitant dans sa vie que la correspondance qu'elle entretient depuis plus de dix ans avec un américain, et les soirées musicales auxquelles elle assiste une fois par mois avec un vieux professeur autrichien.
"Pourquoi, se demanda Virginia, était-elle le genre de fille à qui les gens proposaient toujours une boisson chaude et non simplement un verre ? Qu'y avait-il chez elle qui empêchait les gens d'imaginer qu'elle s'enfilerait volontiers un double whisky ? "
Je ne crois pas avoir déjà lu Angela Huth auparavant, mais j'ai retrouvé sous sa plume un peu de l'univers de Barbara Pym, avec cette héroïne banale et rêveuse dont les rêves sensuels et romantiques vont piteusement se heurter au réel. Mais on est Angleterre, elle saura garder son sang froid et son humour. Le lecteur est quand même un peu triste pour elle, car elle est à la fois charmante et attachante, cette jeune femme dont toute la fantaisie semble se cristalliser dans une pulsion sexuelle non avouée et dans des rêveries érotiques qui semblent tout droit sorties d'un roman Harlequin. Mais quelle femme peut se vanter de n'avoir jamais rêvassé sur ce mode ? C'est donc avec beaucoup de tendresse qu'on la regarde trébucher sur ses fantasmes pour finalement se plier au réel. Le roman doux-amer du désenchantement.
"J'ai renoncé à espérer, reprit-elle. C'est beaucoup mieux. On peut s'épanouir, vous savez, à se réjouir à l'avance des petites choses dont on est sûr qu'elles se produiront. C'est beaucoup moins sinistre que d'espérer de plus grandes choses qui risquent de ne jamais survenir."
Traduit de l'anglais par Anouk Neuhoff.
Quai Voltaire, 2017 (1e éd. 1972). - 218 p.