Le Grand Jeu - Céline Minard
Rentrée littéraire 2016
"Tous les matins, il faut se demander : qui suis-je ? Un corps ? Une fortune ? Une réputation ? Rien de tout cela. Qu'ai-je négligé qui conduit au bonheur ?"

J'ai découvert Céline Minard avec son western burlesque et décalé, Faillir être flingué, qui m'avait emballée, et j'avais hâte de découvrir son nouvel opus qui, dans un genre très différent, avait encore tout pour me plaire, puisqu'il y est question d'une expérience de vie en solitaire à l'écart du monde (ce qui constitue mon fantasme absolu).
Une femme s'installe dans une vallée en haute montagne. Pour s'assurer de sa tranquillité, elle a acquis 200 hectares d'espace sauvage et s'est fait aménager un refuge hyper sophistiqué, cylindre de métal accroché à la paroi rocheuse, qui combine la plus haute technologie, la plus grande simplicité et la plus belle efficacité. On est très loin de la cabane de bois chère à Thoreau. Elle s'y installe seule, avec quelques provisions, des outils, un fusil et un violoncelle. Et comme le principe de la vie en autarcie repose toujours sur la même trame, elle commence par se créer un joli potager et un vivier à poissons qui doivent la nourrir dans les mois à venir. Elle occupe le reste de son temps à de longues randonnées pour explorer son domaine et à de périlleuses escalades, toutes ces activités servant de prétexte à une introspection philosophique.
"Qu'est-ce que je fous là ?", se demande-t-elle, et le lecteur se le demande aussi, puisqu'il ne sait rien de cette femme et de ce qui l'a poussée à se lancer dans une aventure qu'elle qualifie à plusieurs reprises de "traitement". Traitement à quoi ? Traitement de quoi ? "J'ai investi cet environnement et ces conditions qui me permettent de n'être pas dans l'obligation de croiser tous les matins un ingrat, un envieux, un imbécile." Mais ce n'est pas non plus une fuite, c'est autre chose, mais quoi ? "Une occupation contemplative, sportive, mentale ? Une expérience ? Une pratique du détachement ?" Bref, tout cela ressemble à une fable philosophique en forme de koan zen. Sauf que c'est quand même très ennuyeux... Si toute la description de son installation m'a beaucoup intéressée, j'ai trouvé un peu fade le récit très détaillé de ses randonnées dans un univers qu'elle découvre et investit peu à peu, et de ses escalades dans un paysage que je n'arrivais pas à visualiser, sans parler de l'abus de vocabulaire technique qui m'a fait bailler.
Et voilà qu'elle découvre que dans ce domaine si soigneusement privatisé, il y a un intrus. L'intérêt du lecteur se réveille. Comment va-t-elle gérer cette cohabitation forcée et imprévue ? L'expérience prend une autre allure, la question n'étant plus de savoir comment se faire face à soi-même dans l'isolement, mais comment gérer le rapport à l'autre. "Je veux imaginer une relation humaine qui n'aurait aucun rapport avec la promesse ou la menace. Qui n'aurait rien à voir, rien du tout, avec la séduction ou la destruction." Hélas, mon intérêt n'a duré que quelques pages. Certes, l'intrus se révèle quelque peu malicieux, et notre héroïne va connaître quelques jolis moments de grâce (souvent alcoolisés, du reste, ce qui relativise le concept d'illumination...), mais ni le lien qui va se créer entre ces deux solitaires ni le jeu qui en va en découler n'ont réussi à m'intéresser. Il y avait décidément trop de questions pour moi dans un texte si court, et beaucoup trop d'escalade.
En conclusion, et cela me fait mal de l'écrire, j'ai trouvé ce texte prétentieux, creux, et ennuyeux.
C'est Cathulu qui m'avait donné envie.
Rivages, 2016. - 190 p.