Et la vie nous emportera - David Treuer
Rentrée littéraire 2016
"Ils n'étaient tous que des marionnettes qui s'agitaient au bout de leurs petits fils tissés de brins de culpabilité et de honte."
J'ai décidé d'attaquer cette rentrée littéraire par sa face américaine, en l'honneur du Festival América qui se tiendra le mois prochain à Vincennes, et avec un auteur dont je n'avais jamais entendu parler mais qui est publié dans la très bonne collection "Terres d'Amérique" d'Albin Michel.
Le titre original de ce roman est Prudence, du nom d'une jeune Indienne, qui a eu le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Nous sommes en 1942 et l'Amérique vient d'entrer en guerre. Comme tous les ans, les Weshburn vont passer l'été dans leur propriété du Minnesota, où tous leurs domestiques sont des Indiens. Ils y attendent leur fils Frankie, étudiant à Princeton, qui va bientôt partir en Europe comme officier bombardier. Ces vacances estivales ont donc un goût très particulier, d'autant qu'un camp de prisonniers allemands a été installé en face de la propriété. Alors que Frankie débarque du train avec ses copains, on apprend que l'un des prisonniers s'est évadé. Les jeunes gens, guidés par le vieux gardien indien vont se lancer à sa poursuite. Mais un incident dramatique va survenir qui va complètement bouleverser la vie de plusieurs d'entre eux.
"Les gens n'aiment pas être confronté à ce qu'ils préfèrent ignorer à leur propre sujet."
Ce roman met un temps fou à démarrer. On sent que l'auteur cherche à dilater le temps de cette première journée, la journée du drame. Et, comme dans un roman de Virginia Woolf, il nous donne à voir le point de vue de plusieurs personnages tour à tour : la mère, le gardien, le père, le meilleur ami. Quant au drame lui-même, il reste longtemps inexpliqué aux yeux du lecteur, tout comme chacun des protagonistes s'est empressé de le refouler sous un mensonge et un paquet de non-dits : que Frankie n'est pas exactement le fils que ses parents auraient voulu avoir, qu'aux Etats-Unis c'est le fusil qui fait l'homme, qu'une vie d'Indien n'aura jamais le même prix qu'une vie de Blanc. Et il faudra un long moment pour que Prudence devienne le personnage principal de sa propre histoire et ce moment arrivera trop tard.
"Les garçons sont comme ça - ils ne comprennent pas le monde et ce que c'est de vivre dans la réalité. Ils ne le savent pas mais moi je le sais et permets-moi de te dire que c'est épouvantable."
Tout le charme de ce roman repose sur le contraste entre la délicatesse de la plume et la brutalité du monde dépeint. On y frôle parfois l'ennui, mais il pose beaucoup de belles questions à travers une histoire violente et le portrait d'un homme sensible.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Michel Lederer.
Albin Michel, 2016. - 336 p.
Et comme, à l'occasion du Festival América, j'ai décidé de me lancer dans le Challenge 50 états en 50 romans, ce roman illustre le Minnesota.
