Le coeur du problème - Christian Oster
"Je me suis fait la réflexion que, si ma vie quelques jours auparavant avait basculé, aujourd'hui j'entreprenais de la laisser flotter en attendant qu'elle coule."
"Pour dire les choses vite, quand je suis rentré chez moi ce soir de juillet, il y avait un homme mort dans le salon." Peut-on vraiment résister à un tel incipit ? Surtout quand ça se poursuit par: "J'étais plutôt de mauvaise humeur, si bien que ma première réaction a été une forme d'agacement, un peu comme si je venais de trouver le salon en désordre."
Donc, Simon rentre chez lui et trouve un cadavre dans le salon, et sa femme dans la baignoire qui lui annonce qu'elle le quitte. Et voilà Simon confronté à deux événements inattendus dont il ne prend pas vraiment toute la mesure. Simon est un vrai héros ostérien, ce qui signifie qu'il est plus dans la réaction aux événements que dans l'action, il va donc un peu se laisser porter par le hasard, réagissant toujours d'une manière décalée (et choisissant souvent la plus mauvaise solution). Il doit faire face à la fois à la présence de ce corps étranger et encombrant (dont il comprend assez vite qu'il s'agit de l'amant de sa femme qui a fait un malencontreux vol plané depuis le premier étage), et à l'absence de celle qui était sa compagne et dont il ne sait plus très bien s'il l'aime encore ou pas (mais dont il est prêt à couvrir les forfaits). Un cadavre inconnu comme métaphore d'un amour mort, dont Simon ne se doutait pas, semble-t-il, qu'il fût malade. Un deuil à faire, quelque chose de bien encombrant dont on aimerait pouvoir se débarrasser sans douleur. Sauf que ce n'est pas possible. La solution (forcément absurde) choisie par Simon ne fait que renforcer ses doutes, son malaise et son inquiétude.
"A la lumière de ces deux constats, dire que j'ai éprouvé une sensation de solitude accrue serait insatisfaisante pour traduire ce qui se passait en moi. Isolement eût sans doute été un mot plus juste. Ou marginalité. Ou encore damnation. Heureusement, on était un dimanche."
Il est à la fois très agaçant, ce Simon avec ses atermoiements, et très touchant. Il m'a fait rire, tellement il est décalé par rapport au réel, l'image même du type dont la vie bascule parce que sa femme le quitte. Le type qui essaie de rester debout coûte que coûte. Entre burlesque et désespoir. Il ne s'agit évidemment pas d'une histoire policière même si l'apparition d'un gendarme dans le quotidien douloureux de Simon vient mettre un peu de piment dans l'affaire. Il s'agit de l'histoire d'une rupture et de la difficulté d'y faire face.
Je l'aime bien, Oster. J'aime sa plume, j'aime son héros qui se conduit toujours de façon totalement irrationnelle sauf quand il ne s'agit pas de lui ; il y a toujours un moment où Oster me fait éclater de rire, là c'était précisément à la page 150, quand Simon se décide enfin à faire face à la réalité, de façon forcément abrupte et inattendue. Sauf que c'est bien joli tout ça, on souffre vraiment pour ce pauvre Simon, on compatit à ses insomnies, à sa fièvre, à l'ennui qu'il traîne de Paris à Londres, et de la ville à la campagne. Mais on ne finit quand même par trouver tout ça un brin trop long, et on referme ce bref roman avec un sentiment de frustration et une envie de dire à l'auteur : et c'est tout ?
"L'intérêt d'être vendredi, une considérable avancée objective par rapport à jeudi, me paraissait douteux. D'autant qu'au-delà se profilait le week-end. Et au-delà encore, la vie. La mienne, en tout cas."
Éditions de l'Olivier, 2015. - 188 p.